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Frédéric
Godet
LE THEOLOGIEN REMPLI DE CHRIST
(1812-1900)
par Claude Royère
et ERM
Deux
tendances néfastes ont souvent heurté l'Eglise de front
: la première est celle qui consiste à mettre sur un piédestal
la science et l'érudition théologiques lesquelles, à
la longue, n'étant pas imbibées du Souffle divin de vie,
deviennent connaissance stérile et lettre morte; la deuxième,
à l'inverse, est de déprécier l'intelligence et toute
étude théologique, au profit des expériences spirituelles
qui, à défaut d'être maintenues sous la tutelle de
la Parole prophétique sûre, la Parole de Dieu, finissent
par s'échouer sur les sables mouvants du fanatisme et de l'illuminisme.
Frédéric Godet, commentateur et exégète biblique
d'une rare profondeur spirituelle, incarne parfaitement le ministère
de docteur rempli de sagesse et de l'Esprit de Christ, accordé
à l'Eglise en vue de son perfectionnement. Lorsque la prière
s'empare de l'âme d'un théologien, sa théologie devient
l'expression la plus haute et la plus vive de la lumière de la
révélation projetée sur le Livre saint. Notre heure
critique où la doctrine de Christ et la saine doctrine apostolique
sont menacées par le libéralisme et le modernisme rampants,
ou battues en brèche par d'étranges personnages se vantant
d'avoir atteint de hautes sphères spirituelles, exige des hommes
de la carrure de Frédéric Godet, qui sachent, par la puissance
et la précision de leurs écrits, ramener les esprits à
l'autorité des Saintes Ecritures et à la beauté de
Christ ressuscité. Puissent nos écoles de théologie
former de futurs serviteurs suivant l'exemple de Frédéric
Godet !
Né et mort dans le
canton de Neuchâtel, Frédéric Godet est une haute
figure du protestantisme suisse ; ses commentaires bibliques, traduits
dans les principales langues, sont universellement signalés pour
leur profondeur, leur originalité et leur rigueur ; mais peut-être
faudrait-il dire avec plus de justesse qu'ils se distinguent par leur
luminosité. Car Frédéric Godet n'est pas un commentateur
ordinaire.
Le lecteur sérieux
remarquera vite en effet chez lui un don spécial : celui de dissiper
par une lumière intense qu'il projette sur le texte, les ombres
des fausses idées que nous traînions depuis longtemps sur
tel ou tel passage biblique.
Dans cet instant privilégié
nous comprenons que ce qui avait tordu notre perception du texte n'était
pas tant sa difficulté que notre manque de droiture d'esprit. Il
faut l'avouer, les exégètes de la Bible font rarement de
l'honnêteté intellectuelle une de leurs exigences, sans doute
à cause du côté passionnel du sujet. C'est ainsi que
lorsque l'un d'entre eux la possède, il se détache nettement
des autres. En ce sens l'originalité de Godet se rapproche de celle
de C.S.Lewis, autre écrivain à qui tous les chrétiens
évangéliques accordent une place à part. L'analyse
de la singularité de ces deux écrivains montrera qu'on ne
trouve pas chez eux de traces de cette bigoterie, qui en véritable
antithèse de l'honnêteté d'esprit, fausse si souvent
le jugement des auteurs les mieux intentionnés.
Cependant une capacité
d'analyse hors pair ne pourrait à elle seule rendre compte de l'œuvre
de Godet ; il possède aussi à un haut degré l'intuition,
vertu magique, proche du pouvoir créateur, qui à partir
d'indices infimes trouve la clef de l'énigme, soulève le
voile et fait resplendir la vérité. Qu'on lise par exemple
son Etude sur le Cantique des cantiques et qu'on juge ensuite si
ces éloges sont justifiés. Nous ne savons pas que Godet
ait jamais été réfuté sur l'interprétation
de ce livre. Sa clairvoyance s'affirme encore dans un autre mystère
millénaire : l'Apocalypse. Avec la création de l'état
d'Israël, un demi-siècle après sa mort, l'avenir a
confirmé la justesse de ses vues, et nous pensons qu'il continuera
à le faire, au rebours des idées reçues.
L'intuition jointe à
l'analyse ne serait pas encore une formule suffisante pour résumer
Godet : il est avant tout un chrétien fasciné par la personne
du Sauveur. C'est le mystère du Fils de l'homme, du Fils de Dieu,
qu'il a essayé de sonder en commentant les Ecritures. Le fruit
de son travail il l'a résumé dans deux études, l'une
sur la personne de Jésus-Christ, l'autre sur l'œuvre
de Jésus-Christ ; aucun chrétien ne pourra les lire
sans que sa figure intérieure de Jésus-Christ ne brille
d'un éclat nouveau. L'admiration de Jésus-Christ, voilà
le secret de Godet, voilà la marque si reconnaissable qu'il a laissée
sur chacun de ses écrits. Paraphrasant un mot d'Hector Berlioz
on pourrait dire :
Godet c'est Godet, comme
Bach c'est Bach...
Car en dépit du sens
que Berlioz donnait à sa boutade, Bach ne s'explique pas sans Dieu,
Godet non plus.
Quelques dates sommaires
de son ministère :
- 1838, précepteur du prince royal
de Prusse, Frédéric-Guillaume.
- 1844, de retour en Suisse, pasteur au
Val-de-Ruz
- 1851, élu pasteur de Neuchâtel
- 1868, il quitte le pastorat pour se consacrer
à son enseignement en faculté de théologie
- 1873, fondation de l'Eglise Indépendante
de Neuchâtel, suite à la votation d'une loi tendant à
placer l'Eglise sous le contrôle du pouvoir politique
- 1887, il se retire de son poste de professeur,
au profit de son fils Georges, et consacre les dernières années
de sa vie à la révision de ses commentaires
Frédéric Godet
restera surtout connu dans l'histoire du protestantisme comme le champion
de l'orthodoxie évangélique face à la haute critique
allemande, qui prétendait démythifier la Bible, en la vidant
de ses miracles, et en lui ôtant toute crédibilité
historique.
Après un tel panégyrique,
on s'attendrait à ce que cet écrivain soit lu et médité
de tous les pasteurs français, qui ont souvent du mal à
trouver de bons ouvrages écrits dans leur propre langue : il n'en
est rien ; l'absence de réédition de ses commentaires le
montre. C'est là un fait qui s'explique sans peine, sinon sans
tristesse : Godet n'est pas aimé des protestants qui le trouvent
trop évangélique, et il n'est pas aimé des évangéliques
qui le trouvent trop protestant. En termes plus explicites, les protestants
libéraux tiennent à se démarquer d'un auteur qui
affirme sans concession la véracité de la Bible dans ses
récits miraculeux ou historiques ; quant aux évangéliques,
ils ne supportent guère la candeur intellectuelle, dont nous parlions
au début, lorsque celle-ci s'oppose à leurs interprétations
traditionnelles des textes ; l'érudition et l'intelligence de Godet
s'accordent mal avec leur conception de la piété. En fait,
Godet avait déjà eu de son temps à combattre cette
même double opposition : le libéralisme protestant qui vise
à ruiner l'autorité divine des Ecritures, mais également
un piétisme étroit, incapable de nuances, et qui a depuis
si profondément affecté le monde évangélique.
Enfin il faut le dire, l'exégèse
n'intéresse plus aujourd'hui les pasteurs ; la communication, le
leadership, la psychologie..., voilà la nouvelle manne, le pain
béni des formateurs de futurs ministres du culte. Quoiqu'il en
soit, aussi loin le balancier a été dévié
dans un sens, avec d'autant plus de force il revient. L'interprétation
de la Parole restera toujours l'aliment fondamental de l'Eglise et la
gloire des serviteurs qui en ont la charge..
Les œuvres de Frédéric
Godet ne se démoderont pas car elle tirent leur substance du Livre
divin. Il se trouvera toujours quelque chrétien pour les exhumer,
et rendre ainsi à l'Eglise un de ses trésors les plus précieux.
D'où lui venaient
une telle lumière, une telle perspective célestes ? De quelle
source puisait-il ses riches commentaires bibliques donnant un si profond
relief aux vérités de la Parole de Dieu, y compris les mystères
de l'accomplissement eschatologique ? C'est Frédéric Godet
lui-même qui rendra raison à l'éminent Sundar Singh
qui déclarait :
"Je ne condamne pas la science
théologique, ni tous les théologiens dont plusieurs sont des saints.
Je ne suis pas opposé aux études, mais celles-ci sans la vie obscurcissent
la vision spirituelle. Une théologie sans prière est une fontaine sans
eau. J'ai appris bien des choses utiles dans mes études, mais l'enseignement
de l'Esprit je l'ai reçu aux pieds du Maître."
En effet, la fraîcheur et la profondeur
qui se dégagent des oeuvres de Frédéric sont, de
son propre aveu, le résultat d'une incessante et proche communion
dans la prière avec son Seigneur et Sauveur :
"Mes chers frères,
il est des connaissances pour l’acquisition desquelles la prière n’est
nullement indispensable ! Vous pouvez devenir habile chimiste, fort
mathématicien, historien érudit, sans avoir ployé le genou. Mais il
n’en est pas ainsi de la connaissance de Dieu. Dieu n’est pas une chose
que l’on puisse manier, retourner, observer, disséquer, analyser, étudier
à volonté, comme une pierre ou un livre. Dieu, comme tout être vivant,
plus que tout autre être vivant, car il habite, lui, une lumière inaccessible,
n’est connu qu’autant qu’il veut bien se donner à connaître. Et il ne
se donne à connaître qu’à celui qui consent à se recueillir pour le
contempler et l’écouter. C’est alors seulement que se déchire pour nous
le voile de la chair, bien plus épais encore chez nous, chez qui il
est comme doublé de celui du péché, que chez Christ, et que la lumière
divine descend dans notre âme.
La Parole de Dieu elle-même
ne peut remplacer cette révélation intérieure. Saint Paul disait aux
Ephésiens, au moment même où il leur exposait par écrit le plan de Dieu
: Je prie le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire,
d’éclairer les yeux de votre cœur, de vous donner l’esprit de sagesse
et de révélation dans sa connaissance. Sans cette illumination intérieure,
fruit de la prière, l’apôtre sait que la Parole de Dieu elle-même restera
pour eux obscure, inintelligible, semblable à un pays enveloppé de brouillards.
Mais quand la lumière d’En-haut est accordée à l’homme, ce saint livre
ressemble à une contrée sur laquelle vient à tomber un brillant rayon
de soleil.
[...] Il est bien des domaines
où, pour travailler avec succès, il n’est point nécessaire de prier.
On peut fabriquer, spéculer, administrer sans avoir recours à la force
d’En-haut. Mais l’œuvre à laquelle vous vous consacrez, vous, mes jeunes
frères, ne se fait par aucune force naturelle. Faire passer des âmes
de la mort à la vie est une opération dont Dieu s’est réservé le monopole.
Pour que vous réussissiez à l’accomplir, il faut que Dieu lui-même s’associe
à vous et vous prête sa force. Un sermon pour lequel vous avez beaucoup
prié, fût-il médiocre pour les idées et pour le style, portera coup
dans les cœurs. Il ressemblera à une épée peu précieuse, mais dont la
lame est bien aiguisée.
[...] Vous n’êtes pas seulement
appelés à être des hommes de science religieuse. Vous êtes surtout des
hommes d’action. Au service de Christ, toute connaissance tourne à l’action.
Vous le voyez chez Christ lui-même." (1)
Godet ne fut un puissant théologien
et exégète de la Parole, un puissant témoin et défenseur
du Protestantisme évangélique, que parce qu'il était
un saint, un saint consacré et pieux qui reçut aux pieds
du Maître la lumière sur les richesses insondables de Christ.
Que Dieu, dans Sa miséricorde et Sa grâce, nous accorde encore
des Godet à notre génération ! Certainement que,
pour déloger la vaine orthodoxie évangélique et dépoussiérer
le monolithique monde protestant croûlant sous les décombres
du libéralisme et de l'humanisme séculier, il faudra la
plume et le coeur d'un Godet. Rien de moins qu'un enseignant de cette
trempe pourra dissiper les ténèbres de l'erreur et faire
renaître les semences d'une Nouvelle Réformation sur notre
terre de France ! Ecoutons une dernière fois sa voix claironner
le son de la trompette prophétique :
"Mes jeunes
frères, faire l’œuvre de Dieu, la faire dans la lumière de Dieu, par
la force de Dieu, avec un cœur d’enfant de Dieu, voilà, si j’ose le
dire ainsi, le programme de votre ministère ! La prière, voilà le moyen
de le réaliser. Cette vocation a pu, en d’autres temps, être plus périlleuse
; jamais elle ne fut plus importante et plus difficile qu’à cette heure.
De nouvelles questions religieuses se posent, de nouvelles aspirations
sociales surgissent ; l’humanité, exaltée par le spectacle des œuvres
de ses mains, est comme dans une crise d’enfantement. L’Evangile, qui
trois fois déjà a renouvelé la société, en des crises aussi graves,
lors de sa première apparition, après le déluge social de l’invasion
des barbares et aux temps de la Réformation, l’Evangile est appelé encore
une fois, (sera-ce peut-être la dernière?), à déployer ses trésors de
force et de lumière, à tendre la main à l’humanité dans le labyrinthe
où elle est engagée.
Mais il faut pour cela des hommes
qui, d’un côté, comprennent les besoins de leur temps, besoins religieux,
intellectuels, sociaux, et qui, de l’autre, sachent interroger cet Evangile
éternel tout à nouveau, pour obtenir de lui les réponses qu’il tient
en réserve pour des jours tels que ceux-ci, et lui arracher, comme autrefois
le prêtre à la Pythie, le mot que lui seul possède et qui pourra servir
de fondement à l’ordre nouveau. Et qui seront ces hommes, si ce n’est
vous, ministres de l’Evangile? Demandez à Dieu un cœur assez large pour
comprendre votre temps ; demandez-lui en même temps les nouvelles ressources
qui vous permettront de satisfaire à ces nouvelles exigences, dans votre
sphère, petite on grande. Dites comme les apôtres : Augmente-nous la
foi, la foi triomphante pour soutenir celle de ton Eglise qui va s’affaiblissant,
la foi qui transporte les montagnes, la foi par laquelle l’Eglise pourra
achever sa tâche, la conquête du monde !
[...] En priant, vous remuez le
ciel, et par le moyen du ciel, les entrailles du globe, ce qu’il y a
de plus profond, d’éternel sur la terre, le fond des âmes !" (1)
(1) Référence:
Discours de consécration, prononcé le 7 octobre 1868 à Neuchâtel - Edition
1868
Source:
http://epelorient.free.fr
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