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Consacrées au Réveil
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John
Wesley
APÔTRE DES FOULES, PASTEUR
DES PAUVRES
par Fadiey Lovsky
"Le Méthodisme met l'accent
sur l'œuvre positive du Saint-Esprit dans les cœurs des chrétiens.
La doctrine de la sanctification est la réponse victorieuse aux
deux tentations permanentes du protestantisme du XVIème
siècle (que le Méthodisme n'a d'ailleurs pas évitées
lui-même): le moralisme puritain, d'une part, et l'hérésie
antinomienne, la passivité devant le péché, de l'autre.
C'est dans cette double certitude, toute tissée de joie et de puissance
victorieuse, que le Réveil allumé grâce à Wesley
a enveloppé le protestantisme... L'action du Réveil dépasse
toujours les limites des organisations et des Eglises qui y prennent naissance
ou qui s'en réclament directement. Nous pensons que l'exemple personnel
de Wesley demeure, à cet égard, toujours vrai. Que la grâce
de Dieu nous préserve, les uns et les autres, du sectarisme chrétien,
aussi bien que de l'aveuglement spirituel." - Fadiey Lovsky
Un voyageur se penche sur son
passé
La route, presque toute droite,
monte insensiblement jusqu'au bourg construit au centre de la région
marécageuse et monotone. Il fait assez froid: le 1er
janvier, dans les grandes plaines anglaises, l'air vous cingle impitoyablement.
Ce n'est pas la saison de chevaucher un livre à la main.
A la vérité,
le paysage n'étonne guère le voyageur. L'a-t-il assez de
fois parcourue, et dans les deux sens, à pied comme à cheval,
la route de Doncaster à Epworth, du temps de sa jeunesse! Mais,
précisément parce qu'elle n'a plus l'attrait du neuf, elle
saisit son attention, elle provoque un serrement de cœur: l'homme de quarante
ans se dirige vers son village natal, un village ordinaire, où
on a eu des joies et des peines, où votre père fut pasteur,
et dont vous connaissez encore la plupart des gens... Ce cavalier qui
vous précède sur la route, c'est peut-être même
un gars d'Epworth...
Il ne va pas vite, en tout
cas: un peu de curiosité, peut-être, pousse John Wesley à
le rattraper. L'homme est plus âgé que John Wesley. Celui-ci,
qui ne le reconnaît pas, remarque que l'inconnu se tient en selle
avec difficulté. Est-ce donc par inexpérience? Ne serait-ce
pas plutôt qu'on peut compter, à Doncaster, je ne sais combien
d'auberges? Sur cette route déserte, un compagnon ne se rencontre
pas si souvent qu'on hésite à le saluer. L'inconnu prend
les devants; Wesley répond. D'habitude, la conversation s'oriente
vers le froid, la longueur de la route, la robustesse des chevaux. Le
cavalier ne s'en tient pas à ces généralités
dûment éprouvées; il s'intéresse vivement au
livre qui sort à moitié de la poche de Wesley; au fait,
en quel endroit se rend-il? Y a-t-il plusieurs jours qu'il voyage? A-t-il
de la famille à Epworth? Ces longues absences sont-elles pénibles
à sa femme? Tiens! Monsieur est donc célibataire?
Un peu étonné
de cette indiscrétion, John Wesley répond avec bonne grâce.
A son tour de paraître indiscret:
- Savez-vous, monsieur, que
nous sommes en route vers l'éternité?
L'homme ne rougit pas (ce
n'est plus possible), mais, piqué, il répond vivement:
- Oh! je vous reconnais bien,
allez! Wesley, c'est vous.
Un moment de silence. Les
chevaux font sonner la route gelée.
- Quel dommage, reprend l'homme,
quel dommage... Il semble réfléchir encore, puis continue:
- Quel dommage... Il faut
croire que la religion de votre père ne vous suffisait pas. Vous
vouliez du neuf. Mais, dites donc, pourquoi moi? Pourquoi vous fabriquer
une nouvelle religion? La religion de nos pères, c'est toujours
la meilleure, ou quoi? Moi, eh bien, je suis chrétien, monsieur
Wesley. Je suis Anglican. Oui, monsieur. ça me suffit, monsieur
Wesley
Ayant soudain esquissé,
sur ce dernier mot, une ombre de salut, il donne un coup de talon à
sa monture et disparaît rapidement dans le lointain.
John Wesley est trop habitué
aux sottises écrites, imprimées, dites ou hurlées
pour accorder quelque importance à ce que l'inconnu vient de dire.
Il sait bien, au surplus, que nul n'est prophète en son pays: s'il
se rend à Epworth, ce n'est pas pour qu'on l'y accueille avec des
fleurs et des discours. Mais est-il bien vrai qu'il ait abandonné
la foi de son père? Wesley songe à sa jeunesse, à
son père: c'est comme si le passé se mêlait au présent,
tout au long de la route.
Si la piété filiale habite le cœur de John Wesley, elle
ne l'aveugle pas. Il y a quelque chose de comique dans les reproches essuyés
tout à l'heure par le fils, sur la route d'Epworth: car enfin,
ce père dont il aurait dû garder la religion, ce pasteur
Samuel Wesley offert en modèle aujourd'hui, se peut-il qu'on oublie
que la paroisse ne l'a pas aimé? Wesley se rappelle plus d'un détail
évocateur, plus d'une conversation surprise; il se souvient surtout
d'une nuit tragique...
Il faut bien avouer que le
pasteur Samuel Wesley était un homme autoritaire, qui mêlait
la politique aux affaires religieuses, usait de son prestige aux élections
et se liait avec des gens qu'à tort ou à raison ses paroissiens
tenaient pour les ennemis de leurs intérêts matériels.
D'ailleurs, les conflits politiques divisaient jusqu'au propre ménage
du pasteur. En désaccord avec sa femme, il l'avait quittée
durant un an en lui déclarant que "des époux qui n'avaient
pas le même roi ne pouvaient plus partager le même lit".
John, né en 1703, avait été le gage de leur réconciliation
sur la question royale.
Que la vie quotidienne au
presbytère était dure! On y vivait de pauvreté, d'autant
plus que le pasteur excitait assez de haine pour que, par trois fois,
on eût tenté d'incendier la maison. Le dernier essai parvint
à la consumer complètement; c'est à peine si Samuel
Wesley put sauver ses nombreux enfants. En les recomptant à la
lueur des flammes, il constata que manqua le petit John, alors âgé
de six ans. En vain le pasteur voulut-il s'élancer dans le feu:
il dut rebrousser chemin et, s'agenouillant, il commença à
prier pour que Dieu reçût l'âme de son petit garçon.
John, pendant ce temps, s'étant réveillé, courut
jusqu'à la fenêtre; on l'y aperçut; un homme, monté
sur les épaules d'un autre, put atteindre l'enfant et le sauver,
tandis que le toit s'écrasait. Le père appela les voisins
(parmi lesquels il y avait sans doute les incendiaires) pour remercier
le Ciel. Ni la mère ni l'enfant n'oublièrent jamais cette
nuit. A quarante ans, quand il y songe, Wesley y discerne encore le signe
de la grâce de Dieu. Jusqu'à sa mort, il se considérera
comme "un brandon arraché aux flammes". Suzanne Wesley,
sa mère, n'était certes pas une femme ordinaire. Malgré
un labeur acharné, dix-neuf grossesses, dix enfants vivants dont
elle dirigeait aussi bien l'éducation que l'instruction, elle parvenait
à prier et à méditer chaque jour pendant au moins
deux heures et demie. Tous les témoignages concordent, qui attestent
la ferveur de sa vie intérieure. On n'a pas tort de s'étonner
de la sévérité de ses méthodes d'éducation;
encore faut-il admettre que c'est à sa mère que Wesley doit
la virilité de son caractère et sa silencieuse obstination.
Elle était admirable de doigté, d'autorité, de perspicacité,
de discernement - le mot n'est pas trop fort, - de sagesse et d'amour.
Elle donnait à ses fils le spectacle quotidien d'une piété
réelle, profonde, et leur apprenait à la pratiquer. John
Wesley lui doit encore le souvenir des "petites compagnies" qu'elle avait
établies dans la paroisse pendant les absences de son mari - nous
dirions aujourd'hui des "réunions de cuisine"; il lui doit l'entretien
qu'elle lui accordait une fois par semaine, en tête-à-tête,
sur sa naissante vie spirituelle; il lui doit l'orientation de son ministère
vers la théologie pastorale et ascétique, plutôt que
vers les travaux critiques où Samuel Wesley se complaisait, et
où il eût aimé entraîner son fils. John se rappelle
les encouragements qu'il a reçus de sa mère avant de partir
en mission, et l'appui qu'elle lui accorda dans les premiers temps du
méthodisme. Sur la route d'Epworth, c'est avec la plus virile tendresse
que John Wesley songe à sa mère. Il sait bien que ce qu'il
y a de plus brûlant et de plus vivant dans sa foi d'homme, c'est
sa mère qui le lui a transmis.
Songe-t-il à sa jeunesse?
Sans doute, mais au hasard du souvenir; et peut-être à ses
études, poursuivies selon l'engrenage d'alors: une protection obtenue
par le père afin de permettre à John d'entrer dans une école
secondaire - Charterhouse, - puis à l'Université (Oxford),
en 1720.
Ses études terminées,
John Wesley avait été consacré pasteur de l'Eglise
d'Angleterre à vingt-deux ans, en 1725; l'année suivante,
il était élu agrégé à Oxford, c'est-à-dire
chargé de cours à l'Université où il avait
été lui-même étudiant. On reconnaissait ainsi
les remarquables facultés intellectuelle et le savoir du jeune
pasteur, capable dès lors de subvenir à ses propres besoins.
Il donnait aux étudiants des conférences sur la théologie
du Nouveau Testament et présidait les exercices de discussions
philosophiques. Le reste de son temps lui appartenait. De telles fonctions
font de lui un virtuose de la discussion, mais lui apprirent aussi les
limites de la pensée et de l'intellectualisme. Un frère
de John Wesley, Charles, de cinq ans plus jeune, vint étudier à
l'Université à son tour.
Si sa jeunesse d'étudiant
ne fut point puritaine, il faut se garder de prendre à la lettre
les récits qui font du jeune John un grand pécheur. La tendresse
du jeune étudiant pour la fille d'un pasteur? Ce ne fut qu'une
idylle, et la jeune fille influença John dans le sens le meilleur.
Quand des obstacles matériels les séparèrent, Wesley
continua de mener une existence studieuse et réglée. Il
communiait fréquemment. Il y fallait du courage et des convictions
solides. A Oxford, vers 1720-1725, communier en dehors dés trois
grandes fêtes, c'était presque une inconvenance; et c'était
essuyer à coup sûr les moqueries des copains et des professeurs.
Mais voici Epworth. Des rideaux se soulèvent discrètement
aux fenêtres; on a déjà reconnu ce John Wesley qui
divise les gens et les fait jaser: les uns le tiennent pour un fou, les
autres pour un homme de Dieu. Dans quelques minutes; la nouvelle va avoir
fait le tour du gros village. C'est le soir du samedi. Ses "partisans"
l'attendent. Il sait bien que l'église paroissiale ne va pas accueillir
la réunion qu'il vient faire. Aussi rassemble-t-il les gens qui
n'ont peur ni du froid pénétrant ni des quolibets dans le
cimetière - un cimetière de village, étalé
tout autour de l'église, où, du premier coup d’œil, on reconnaît
les tombes des parents et des voisins. Wesley s'approche de la pierre
paternelle. Il prêche dans le silence du crépuscule. Il ne
dit que des choses simples, mais avec quelle force, avec quelle flamme!...
Le lendemain matin, tout le monde se rend à l'église. Wesley
aussi, qui s'assied sur un banc, à la place peut-être qu'il
occupait dans son enfance. Mais le pasteur qui lit les prières,
ce n'est plus Samuel Wesley. Le pasteur n'a pas reconnu le fils de Samuel.
Il ne le reconnaîtra pas au cours du sermon. Mais quand Wesley s'avance
pour communier avec les fidèles, le pasteur le reconnaît
soudain, et lui refuse le pain et le vin.
Quand les jeunes gens purifient leurs
sentiers
Les directives de travail
et les conseils spirituels que les jeunes amis de Charles acceptaient
de la part de John constituaient une discipline studieuse et religieuse
qu'un farceur, un jour, appela du nom de méthode. La méthode
des copains de Charles et John Wesley! C'est quand le petit groupe s'en
allait communier qu'éclataient les moqueries des étudiants.
On n'a pas idée de communier en semaine ou un dimanche ordinaire!
Le bon sens d'Oxford n'approuvait pas de tels besoins, ça devait
faire partie de la méthode, sans doute... "Regardez voir les
Méthodistes qui vont communier!" Le sobriquet des Méthodistes
date d'Oxford: John Wesley le releva, très dignement.
Il faut insister sur le besoin
qu'éprouvèrent les Méthodistes de rechercher une
piété non plus individuelle, mais, pour parler le jargon
d'aujourd'hui, communautaire. Cette quête est d'une importance extrême
si l'on veut comprendre comment, du jour au lendemain presque, Wesley
saura répondre aux besoins spirituels des communautés nées
de sa prédication. La piété de la petite communauté
d'Oxford, vers 1729, s'orientait vers la vie intérieure d'une communauté
dont les membres priaient ensemble, jeûnaient ensemble, communiaient
ensemble - au profond ébahissement des étudiants. Les jeunes
étudiants qui acceptaient la direction spirituelle de John Wesley
visitaient les prisons, soignaient et réconfortaient les malades,
donnaient des aumônes considérables. John Wesley donna jusqu'à
75% de son revenu et renonça au port de la coûteuse perruque,
où les hommes de ce temps-là mettaient leur argent et leur
dignité. C'était s'attirer les moqueries des étudiants,
l'incompréhension des gens convenables. Vous rendez-vous compte,
un professeur sans perruque! Wesley, pour sa part, songeait plutôt
au bon usage de l'argent qu'il économisait.
Cet amour pratique, lié
aux débuts même du petit groupe universitaire, demeura un
trait permanent de l'apostolat de Wesley. Né d'un approfondissement
spirituel, aussitôt incarné dans l'amour du prochain, le
Méthodisme apparaît comme un bel exemple d'équilibre
chrétien - mais aussi comme une leçon pour les chrétiens
d'un siècle d'activisme qui néglige trop souvent les conditions
spirituelles d'un amour efficace. Qu'on nous permette de souligner, d'autre
part, que le mouvement est né parmi les étudiants. Le terrain
est solide où s'aventurent tous ceux qui pensent qu'on ne saurait
jamais trop prêter d'attention à la vie spirituelle des universités.
La "petite communauté"
s'affermit entre 1729 et 1735, autour des deux Wesley et du fils d'une
servante, George Whitefield, qui deviendra le plus illustre prédicateur
anglais du XVIIIe siècle.
Ceux qui chantent dans la tempête
En 1735, forts de l'approbation
de leur mère, les deux Wesley se décidèrent, assez
inopinément, à partir en mission en Amérique, dans
la nouvelle colonie anglaise de Georgie. Les raisons de ce départ
pour une mission fort courte (1736-1737) tenaient peut-être à
un désir inconscient d'évasion. Mais les autorités
civiles, qui avaient trompé les frères Wesley, leur interdirent
toute évangélisation parmi les Indiens, qui n'étaient,
somme toute, que des ennemis... La mission et tous les projets d'héroïsme
chrétien, toutes les décisions de dépouillement,
se réduisirent à la routine d'un ministère ordinaire
en milieu colonial! John Wesley s'y montra zélé, fervent,
peut-être trop puritain, saintement exigeant il osa prendre le parti
des opprimés contre les prérogatives de certaines personnalités
influentes; il fut enfin très maladroit dans une grande désillusion
d'amour qui lui rendit le séjour de Savannah impossible. On alla
jusqu'à lui faire un procès: il dut s'en aller. Son frère
avait abandonné sa paroisse, devant une opposition semblable, quelque
temps auparavant.
Pourtant, Wesley revint d'Amérique
profondément enrichi. Pour le chrétien, tout échec
contient quelque grâce; et puis, Wesley avait rencontré,
au voyage d'aller, et en Amérique même, des Moraves allemands,
qui allaient, au cours des années suivantes, l'attirer toujours
davantage.
Revenu d'Amérique
avec l'amertume d'un échec qu'il attribuait à son incapacité
spirituelle, Wesley en avait au moins rapporté une grande envie
de mieux connaître la foi des Moraves. Dès son retour à
Londres et à Oxford, il se mit à les fréquenter.
Un représentant à Londres de Zinzendorf sut prouver à
Wesley que sa foi intellectuelle devait s'attendre à l'expérience
personnelle. C'est ce même Morave, Bohler, qui initia Wesley à
la doctrine luthérienne de la foi. Sous d'aussi pressantes influences,
Wesley abandonna quelque chose de sa piété anglicane - ou,
si l'on préfère, il l'enrichit. Il ne se contenta plus de
son rituel; il donna plus de temps à la prière d'abondance.
Fête d'amour et plénitude
du Saint-Esprit
L'épisode le plus
connu de la vie de John Wesley ne constitue cependant pas la page la plus
claire de sa biographie: nous voulons parler de sa "conversion" de 1738,
durant l'époque "morave" de sa vie.
Le 24 mai 1738, en ouvrant
selon son habitude, vers 5 heures du matin, son Nouveau Testament, le
professeur John Wesley lut dans la deuxième épître
de Pierre une promesse qui l'impressionna: "Nous avons été
mis en possession des plus précieuses et des plus grandes promesses
afin que, par leur moyen, vous deveniez participants à la nature
divine." Ouvrant encore le livre, il y rencontra cette autre parole:
"Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu." L'après-midi, au
service anglican, où il ne manquait pas de prier malgré
les suspicions de ses collègues, le chant du De Profundis lui parut
admirablement exprimer les supplications dont son âme était
emplie.
Il se rendit à contre-coeur,
il l'avoue, à une petite réunion morave qui se tenait ce
soir-là à Londres. On y lisait la préface de Luther
à l'Epître aux Romains. C'est pendant cette lecture, à
20h45, tandis que le lecteur décrivait, à la suite de Luther,
le changement que la foi opère dans l'âme de l'homme, que
Wesley ressentit quelque chose qu'il décrit ainsi: "Mon cœur s'échauffait
étrangement; je mettais ma confiance dans le Christ, et dans le
Christ pour mon salut. Et une assurance me fut donnée qu'il avait
enlevé mes péchés, oui, les miens, et qu'il m'avait
sauvé de la loi du péché et de la mort."
Un flot d'amour l'envahit
aussitôt, et particulièrement envers tous ceux qui lui témoignaient
leur mépris. Prenant la parole, il rendit témoignage de
ce qu'il éprouvait; et puis, accompagné de quelques amis,
il alla porter la nouvelle de cette expérience à son jeune
frère Charles, alors alité. Celui-ci avait connu auparavant,
le jour même de la Pentecôte 1738, une expérience semblable.
Or, Charles Wesley était poète (il sera l'hymnologue du
Méthodisme); il avait déjà traduit sa joie dans un
admirable cantique. Sans doute, dans les dernières heures du 24
mai, John Wesley se rappela-t-il le récit que son frère
avait dû lui faire de l'inoubliable journée de Pentecôte.
"Je crois!", s'écria
John en s'approchant du lit de son frère. Tout le monde entonna
le cantique que Charles venait de composer; puis l'assistance entière
fléchit les genoux pour prier. Les jours suivants, au profond étonnement
de plusieurs, John Wesley déclara qu'il était devenu chrétien.
Faut-il en conclure que le
grand revivaliste anglais se soit donné au Christ le soir du 24
mai 1738? Quand on lit son Journal, on soupçonne que, peut-être,
Wesley ne pensait pas tellement à la nouvelle naissance, en s'écriant:
"Je crois", qu'à un changement profond, à une expérience
décisive, à quelque rencontre avec le Christ; ou, si l'on
préfère, ce n'est pas sous l'angle de la justification par
la foi que Wesley parlait à ses interlocuteurs de sa joie du 24
mai, mais bien plutôt en regardant à la foi sanctifiante,
qui semblé avoir été l'aspiration maîtresse
de sa vie, et probablement l'apport le plus précieux du Méthodisme
aux Eglises nées de la Réforme.
Entre 1735 et 1741, sous
l'impulsion de Jonathan Edwards, l'Amérique anglaise connut un
mouvement religieux qu'on peut appeler, à la lumière d'événements
ultérieurs, un Réveil, et, très probablement, Wesley
en eut quelques échos lors de son séjour en Georgie, en
1736-1737. En 1736, dans le Pays de Galles, un laïque qui ne put
supporter l'atmosphère dissipée de l'Université d'Oxford,
Howell Harris, fut l'instrument d'un mouvement revivaliste important,
qui durait encore en 1739, lorsque Wesley et Whitefield en reconnaîtront
le caractère évangélique et travailleront d'accord
avec Harris. Deux ans plus tard, à quelques jours de distance,
Charles et John Wesley reçurent l'illumination soudaine qui les
emplit de joie, renouvela l'image du Christ en eux, et après laquelle,
ils manifestèrent dans la prédication publique une puissance
que les deux frères Wesley n'avaient encore jamais connue.
Cette expérience de
Wesley est en rapport avec une effusion particulière de l'Esprit
qui, dans la chrétienté anglaise, s'est traduite, sur les
deux rives atlantiques, par la "plus vigoureuse, la plus tenace des réactions
au sein du protestantisme en quatre siècles".
Le journal de Wesley raconte
que, le soir du 1er janvier 1739, Whitefield, les deux Wesley
et une soixantaine d'amis se réunirent pour "une fête d'amour":
c'était un usage morave qui rassemblait, comme dans le livre des
Actes, les chrétiens désireux de passer une longue veille,
au cours de laquelle on prenait le repas en commun et on priait, fort
avant dans la nuit. "Vers trois heures du matin, raconte John Wesley,
comme nous persévérions dans une pressante prière,
la force de Dieu vint puissamment sur nous, tellement que plusieurs se
mirent à crier, ne se possédant plus de joie, tandis que
d'autres tombaient la face contre terre. Quand nous sommes revenus quelque
peu de l'effroi et de l'étonnement qui nous avaient saisis en présence
de la majesté, nous entonnâmes d'une seule voix: "Nous te
louons, ô Dieu, nous reconnaissons que Tu es le Seigneur." On ose
à peine commenter de telles lignes, qui éclairent singulièrement
le 24 mai précédent. Whitefield, qui tenait aussi son journal,
écrit à propos de cette même "fête d'amour":
"Ce fut une vraie Pentecôte."
Cinq jours après la
fête d'amour du 1er janvier 1739, il y eut une autre
réunion, dans la prière et le jeûne, au cours de laquelle
Wesley éprouva "la conviction inébranlable que Dieu était
sur le point de faire de grandes choses au milieu d'eux". Or, une subite
transformation allait faire de John Wesley, en six mois environ, le plus
grand revivaliste du XVIIIe siècle. Pourtant, l'histoire
prouve que plus d'un témoin du Christ n'a pas attendu sa trente-sixième
année pour travailler glorieusement au nom de son Seigneur. Le
ministère de John Wesley dans la paroisse de son père avait
été vraiment terne; son rôle à l'Université
d'Oxford se borna, en réalité, à réunir une
dizaine de jeunes gens; sa mission en Amérique parut être
un échec. Mais, du 1er avril 1739 à la fin de
la même année, Wesley tiendra 500 réunions en plein
air et suscitera, dans le Pays de Bristol et à Londres, un véritable
incendie religieux. Whitefield suggère la solution de l'énigme
en écrivant que leurs soixante amis, après lui-même,
et Charles, et John Wesley, connurent une Pentecôte en vue de la
subite puissance qu'ils manifestèrent dans l'évangélisation
tout aussitôt, comme les apôtres avaient reçu l'effusion
de l'Esprit "avec impétuosité" avant que la parole de saint
Pierre n'ajoutât trois mille personnes à l'Eglise.
La "Pentecôte" du 1er
janvier 1739, ou "fête d'amour", ou "réunion d'attente" (le
terme importe peu, et varie selon les milieux chrétiens) éclaire
le 24 mai précédent. L'Ecriture permet de choisir un terme
moins ambigu que celui de "conversion": plénitude du Saint-Esprit,
ou baptême dans l'Esprit-Saint, comme on voudra, puisque les conséquences
de cette plénitude sont dans la vie de Wesley, comme dans les Actes
des Apôtres, semblables malgré dix-sept siècles d'histoire.
Pèlerinage aux sources moraves
Puisque la grâce de
Dieu l'avait saisi par le ministère des Moraves, John Wesley décida
de se rendre à Herrnhut, au fond de la Saxe, sur la frontière
bohémienne, pour rencontrer Zinzendorf et pour voir la communauté.
Ce n'était pas dans le tempérament de Wesley de faire ou
de croire quelque chose à moitié. Se mettre totalement à
l'école des Moraves, si Dieu le demandait; faire la part de l'excellent
et du médiocre si c'était nécessaire, mais répondre
aux questions nées de la fréquentation des Moraves, et agir
à leur égard selon la parole évangélique:
Viens et vois! Il va sans dire que, pénétré de reconnaissance,
Wesley se rendait en Saxe (par la Hollande), le cœur empli de bonne volonté
et d'amitié envers les disciples de Zinzendorf.
Il ne fut pas déçu.
La fréquentation de ceux que, de loin, il tenait pour les meilleurs
des chrétiens, le remplit d'admiration. Il rassembla un véritable
dossier sur l'organisation d'Herrnhut, où la vie communautaire
mettait la louange et la prière au premier plan des préoccupations
de chacun. Le caractère ascétique et quasi monacal, dans
la libre acceptation de tous, l'organisation presque méticuleuse
de la vie quotidienne, ne pouvaient que plaire à celui que les
rieurs d'Oxford qualifiaient de "méthodiste" en toutes choses.
Les Moraves se réunissaient régulièrement en groupes
composés de gens du même âge et de la même condition:
les célibataires entre eux, les femmes mariées ensemble,
etc.; des subdivisions plus intimes permettaient la libre conversation
spirituelle et la confession mutuelle. Wesley prenait notes sur notes.
La petite communauté d'Oxford n'avait-elle pas pressenti quelque
chose de cela? Dieu ne donnait-il pas, dans les expériences d'Herrnhut,
une réponse aux recherches des jeunes "méthodistes"?
Quand il revint d'Allemagne,
Wesley nourrissait sans doute une sainte jalousie à l'égard
des Moraves. Il n'allait pas attendre longtemps - Dieu allait lui ouvrir
un champ d'activité auquel il ne s'attendait pas.
Le début de l'évangélisation
moderne
George Whitefield, le jeune
étudiant qui participait aux exercices spirituels d'Oxford et aux
réunions d'attente à Londres, avait pris l'engagement d'aller
collecter de l'argent pour un orphelinat d'une colonie anglaise d'Amérique.
Car les Méthodistes joignaient, aussi bien en 1739 qu'en 1729,
l'activité à la piété. C'est pourquoi Whitefield
vint à Bristol, le grand port colonial, dans l'intention d'y recueillir
de l'argent et de s'embarquer pour l'Amérique.
"Puisqu'il a tellement envie
de convertir les païens, que ne va-t-il à Kingswood?", dirent,
entre autres commentaires désagréables, les esprits forts
de l'endroit. Il y a toujours une part de vérité dans les
sottises qu'on dit aux chrétiens. En vérité, à
Kingswood, aux portes mêmes de Bristol, des hommes extrayaient le
charbon exigé par le jeune capitalisme et la prospérité
croissante du port de Bristol; mais on n'avait construit pour les mineurs
ni temples ni écoles; aucun pasteur ne leur avait été
accordé. On ne les admettait pas, pour autant, dans les églises
ni les écoles de Bristol: il est vrai que s'ils fomentaient des
émeutes, elles étaient réprimées sans ménagement.
Kingswood représente parfaitement, dans toute sa nudité,
l'état de déchéance où l'homme se trouva plongé
aux premiers temps de la Révolution industrielle.
Le clergé de Bristol
ne s'intéressait pas plus à l'orphelinat de Whitefield qu'aux
habitants de Kingswood: la prédication dans les églises
fut interdite au missionnaire. Le samedi 17 février 1739, Whitefield
décida de relever le défi lancé par les sceptiques,
et les pasteurs anglicans. N'avait-il pas, huit jours, auparavant, parlé
dans une auberge à une centaine de personnes? Ne se demandait-il
pas depuis longtemps s'il fallait vraiment établir des distinctions
entre le contenu des prédications destinées aux Anglais
ou aux Indiens? Whitefield porterait donc la Bonne Nouvelle aux païens
de Kingswood.
Le même soir, du haut
d'un tertre, il s'adressait à 200 mineurs. On se moqua de lui,
il y eut des blasphèmes, mais il fut écouté. Le lendemain,
2000 auditeurs accoururent, et les chiffres augmentèrent les jours
suivants jusqu'à 20 000 personnes. Ces foules-là entendaient
pour la première fois une prédication de l'Evangile, et
avec quelle puissance! On n'était pourtant pas en terre de mission,
et ce n'était pas non plus une campagne revivaliste: le Réveil
suppose un minimum de christianisation préalable. On avait affaire,
dans ce district, à une population que les chrétiens avaient
laissé véritablement retourner au paganisme. C'était
là quelque chose de neuf: la première campagne d'évangélisation
moderne en un pays de chrétienté.
De nombreuses conversions
dressèrent la première Eglise de Kingswood en même
temps que la première communauté méthodiste depuis
celle d'Oxford, lorsque Wesley constata que les pasteurs de Bristol repoussaient
de la Sainte-Cène ces gens qui, après tout, n'étaient
pas leurs paroissiens, et qui éprouvaient soudain le désir
de communier. Mais, auparavant, enhardi par le succès, Whitefield
avait annoncé, avec le même bonheur, l'Evangile à
Bristol même, dans le jardin public. Ce fut, en définitive,
un incendie dans les milieux populaires, une explosion dans les cercles
ecclésiastiques. On menaça Whitefield de tous les côtés,
on le condamna dans des lettres pastorales. Il avait, cependant, des engagements
en Angleterre; puis il devait partir pour l'Amérique: il appela
Wesley au secours.
Sans prendre aucun engagement
auprès de Whitefield, Wesley arrivait à Bristol le 31 mars
1739. Il venait voir. Le lendemain, dimanche 1er avril, il
accompagnait Whitefield, qui devait prêcher ce jour-là trois
fois en plein air. Le même soir, après avoir donné
son approbation à Whitefield, il expliquait à un groupe
de chrétiens le Sermon sur la Montagne, "remarquable précédent,
notait-il dans son journal, de prédication dans les champs, bien
que, sans doute, il y eût des églises en ce temps-là?"
Le lendemain, lundi 2 avril
1739, à 16 heures, monté sur une butte proche de Bristol,
Wesley haranguait trois mille hommes: "L'Esprit du Seigneur est sur moi,
parce qu'il m'a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; il
m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé,
pour proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement
de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une
année de grâce du Seigneur.,."
Il faut croire que Wesley
s'accoutuma rapidement à cette "étrange façon de
prêcher", s'il est vrai qu'au cours des neuf premiers mois de l'an
l'évangélisation moderne, il prêcha cinq cents fois,
dont dix à peine dans les temples. Ni la pluie, ni le vent, ni
les sarcasmes ne réussissaient à disperser les foules accourues
autour de Wesley, à Bristol ou à Londres (et cela dura un
demi-siècle). Ce n'était pas toujours facile. Vingt ans
plus tard, il notera dans son Journal, un soir: "Rien d'étonnant
que le diable n'aime pas la prédication en plein air. Moi non plus;
si je m'écoutais, je ne l'aimerais pas. J'aime une salle commode,
un coussin confortable, une table, une chaire convenable. Mais que vaudrait
mon zèle si, pour sauver une seule âme, je ne mettais pas
tout cela sous mes pieds?"
Cinquante années d'itinérance
John Wesley se lève
à 4 heures, chaque matin, pour tenir à 5 heures la première
réunion de la journée. Après quoi, en robe de clergyman
- mais sans perruque, - le rabat plus ou moins maltraité par le
vent, un livre à la main, les jambes bottées, car les routes
sont mauvaises, Wesley enfourche son cheval. Il a minutieusement préparé
son voyage. Vent ou pluie, neige ou chaleur accablante ne l'arrêtent
pas. Il réunira, une fois parvenu au village où on l'attend,
les membres de la communauté méthodiste. Si le pasteur anglican
lui accorde l'usage de l'église, Wesley y prêchera volontiers.
S'il y vient trop de monde, il parlera du parvis, ou d'une fenêtre,
n'importe. Si les portes ne s'ouvrent pas devant lui, il parlera dans
la halle du marché, dans une grange, sous un gros arbre, sur la
plage ou dans un pré. De toute manière, une ou deux fois
dans la journée, il adressera un appel aux gens du village, à
l'improviste, monté sur une chaise ou sur une grosse pierre, dans
la rue principale. Wesley n'oublie pas Kingswood. Puisque les gens ne
viennent pas dans les temples, il ira les chercher dans les rues ou à
la sortie de leur travail.
Ni le jovial et irascible
voyageur ni Wesley lui-même ne savent que cette existence, qui a
commencé quatre ans plus tôt, va encore se prolonger pendant
quarante-huit années. Quelle admirable monotonie dans la vie de
ce voyageur! Il demeure quelques jours dans une ville, traverse un village,
y exhorte les Méthodistes, appelle la foule à la conversion,
s'en va coucher plus loin - durant des semaines, jusqu'à ce qu'il
revienne à Londres pour quelques jours, afin d'y mieux préparer
une autre tournée de ce genre. Il est impossible de raconter cette
vie sans lasser l'attention; et pourtant, rien ne reflète mieux
l'activité et la foi de Wesley que la monotonie laborieuse de son
existence.
Un labeur fait d'un constant,
d'un héroïque oubli de soi. A quarante-neuf ans, malade, il
note dans son journal: "Etant à peu près capable d'aller
à cheval, mais non de marcher, je me suis rendu à Bristol..."
A quarante-huit ans, on le voit, au cours de trois journées, prêcher
dix ou onze fois en public, c'est-à-dire généralement
en plein air, et tenir au moins trois réunions avec les Méthodistes
eux-mêmes. Une grave maladie ne terrasse qu'à moitié
l'énergique Wesley. A cinquante ans, il tombe malade. Le jour où
il se sent mal au lever, il décide de tenir la parole qu'il a donnée
et part pour Canterbury. Il voyage de 4 heures du matin à 1 heure
de l'après-midi; à l'arrivée, il est saisi par les
frissons de la fièvre. Les jours suivants, il joue à cache-cache
avec elle. Le mardi soir, il prêche, ainsi que le lendemain matin
à 5 heures; mais, dès 9 heures du matin jusqu'au lendemain,
il doit rester au lit; dès le vendredi, profitant de ce qu'il appelle
un "intervalle de santé", il part en chaise de poste et prêche
le soir même. Tout au cours du mois de novembre, il doit emprunter
des diligences et des chaises de poste, s'aliter constamment, sans jamais
prendre de vrai repos, malgré la toux et les douleurs du côté
gauche. Finalement, un médecin de ses amis lui intime l'ordre de
se reposer à la campagne. Wesley, épuisé, se sent
si mal qu'il compose son épitaphe: " Ci-gît le corps
de John Wesley, brandon arraché des flammes, qui mourut sans laisser
10 livres sterling derrière lui... "
Heureux serez-vous quand on vous outragera
En 1745, en Cornouailles,
Wesley se rend chez une dame qui avait été longtemps malade.
Il arrive chez elle vers 3 heures dé l'après-midi. La foule
de Falmouth encercle aussitôt la maison; les quatre personnes -
Wesley et une jeune fille appelée Kitty, la dame et sa fille -
sont bel et bien assiégées. Les cris retentissent sans cesse,
repris par la foule en colère: "Sortez le canorum! Où est
le canorum?" Canorum, c'était le surnom dont on avait affublé
les Méthodistes en Cornouailles. La propriétaire de la maison
et sa fille s'étant sauvées, les ennemis de Wesley parviennent
à forcer la porte et à envahir le corridor d'entrée.
Une autre porte fermée, une mince cloison protègent seules
Wesley et Kitty. Wesley décroche une grande glace, de peur que
tout le panneau ne soit renversé par les forcenés, au premier
rang desquels se démènent les matelots de plusieurs navires
corsaires récemment arrivés dans le port. La pauvre Kitty,
épouvantée par le bruit du couloir, les soubresauts de la
porte et de la cloison, les imprécations des marins, s'écrie:
- Monsieur, que devons-nous
faire?
- Prier, dit Wesley, qui
ajoute dans son journal: "En vérité, nos vies ne valaient
alors pas cher."
Cependant, l'opposition se
manifeste, pour commencer, dans les milieux ecclésiastiques, et
c'est chez eux qu'elle s'éteint en dernier lieu. Une espèce
particulière de conspiration du silence atteint Wesley dès
1739; tandis que clergymen et évêques confient à l'impression
d'acides appréciations sur le Méthodisme, ils interdisent
la chaire aux pasteurs suspects. Wesley est, avec Whitefield, le premier
visé. Ce ne sera qu'en 1748 que, pour la première fois,
un pasteur anglican ouvrira son église à John Wesley. Il
lui faudra du courage, et il ne sera que fort lentement imité.
Le déchaînement
de l'opposition au Méthodisme atteint tous les milieux. Oxford
avertit son récent agrégé, après un sermon
sur le salut par la foi: "Monsieur, vous ne prêcherez plus ici."
Le théâtre et la presse calomnient la "nouvelle doctrine",
ridiculisent Wesley, propagent sur son compte les pires âneries.
La Loi sert à compliquer la tâche des évangélistes.
C'est tantôt les interdictions locales appuyées sur l'autorité
d'un magistrat passionné; ailleurs, la police refuse de faire son
devoir; souvent, les partisans des combats de coqs, alors si florissants,
voyant à juste titre en Wesley l'ennemi même de leur noble
occupation, cherchent à le dégoûter de leur localité.
Quand elle ne provoque pas elle-même des troubles dans les réunions,
l'opposition civile et religieuse les tolère presque toujours.
Elle intervient parfois en emprisonnant les victimes. Wesley fait connaissance
avec plus d'une prison locale. Le procédé le plus original
et le plus odieux, c'est l'enrôlement légal et forcé
des auxiliaires itinérants du Méthodisme dans l'armée,
sous le prétexte de vagabondage.
L'opposition spontanée,
tantôt gouailleuse, tantôt fanatique, met en œuvre toute la
gamme des chahuts pour gêner la prédication méthodiste.
On hue, on siffle, on rit, on crie, on jette des pétards, on se
bat. D'autres fois, on lance de la boue, des fruits pourris, des pierres
sur le prédicateur. Wesley essuie personnellement soixante émeutes;
il est sept fois blessé ou gravement frappé.
Un messager fidèle apporte la
guérison
On aurait tort d'exagérer
l'importance accordée par Wesley à la guérison divine;
mais il est tout aussi tendancieux de passer sous silence l'évident
désir du Réformateur de manifester la miséricorde
du Christ aux malades.
En 1739, c'est-à-dire
au lendemain de sa " conversion ", ou plutôt de son baptême
dans le Saint-Esprit, Wesley est appelé pour un cas extraordinaire.
Un tisserand, touché par la prédication, puis, le lendemain,
par la lecture d'un traité de Wesley, est en proie à une
angoisse et à une agitation extrêmes. A la vue de Wesley,
l'homme confesse que Dieu l'a vaincu, apostrophe Satan: "Tu ne vas plus
me posséder plus longtemps. Christ va te chasser..." On ne nous
dit pas comment Wesley prie alors, ni dans quels termes. Qu'importe? C'est
par un exorcisme qu'il rend la paix à cet homme.
Wesley n'hésite pas
à s'emparer, pour son propre compte ou pour celui d'autrui, des
promesses de guérison attachées à la prière.
Parfois, c'est toute la "communauté" méthodiste qui prie
pour des malades: par deux fois, en 1761 et en 1767, ils sont guéris
instantanément. En 1790, Wesley note dans le Journal, à
propos de la guérison d'une femme: "Je crois que le Seigneur n'a
pas accompli de miracle plus évident aux jours de sa chair." La
même année, Wesley guérit à Newcastle un neurasthénique.
Il faut donc expliquer par
autre chose qu'un don magnétique de guérisseur les subits
rétablissements de Méthodistes après la visite que
leur fait Wesley.
Le cœur de John Wesley
Si l'homme d'action semble
l'emporter dans le caractère de Wesley, on aurait tort d'oublier
qu'il est avant toute chose un intellectuel. A cet égard, Wesley
paraît fort proche de Calvin.
La culture de Wesley n'est
pas négligeable. Philosophe, linguiste, théologien, il sait
le latin, le grec, l'hébreu - cela va sans dire, - étudie
l'arabe, le français, l'italien, l'allemand, l'espagnol. On nous
le montre poursuivant des conversations dans ces quatre dernières
langues. Il suit attentivement les recherches médicales, s'enthousiasme
à propos des découvertes électriques, rend justice
à Franklin avant la communauté royale de Londres, au point
de soigner les pauvres avec une machine électrique. Il apprécie
la littérature mondiale et en publie des extraits pour la Bibliothèque
méthodiste. S'il n'est pas un grand écrivain, il s'exprime
avec bonheur; et s'il n'est pas un poète aussi doué que
son frère Charles, il goûte la poésie et la pratique
parfois. Mais, quelque admiration qu'on ait pour Wesley, ce n'est pas
une raison suffisante pour passer sous silence ses erreurs.
C'en est une que son mariage.
Après la déception d'amour éprouvée en Amérique,
Wesley s'est cru destiné au célibat. Il y a même consacré
un petit ouvrage, où il conçoit le célibat comme
une préparation au Royaume de Dieu. Il semble que l'heureux, mais
tardif mariage de son frère l'incite à demander cependant
la main d'une servante qui, après avoir agréé Wesley,
épouse brusquement l'un de ses aides laïques. Certains amis,
et Charles Wesley, ont sans doute contribué à ce revirement
- dans la crainte d'une mésalliance. C'est pourquoi Wesley presse
tellement les choses, plus tard, en 1751, lorsqu'il se croit destiné
à épouser une veuve qui l'a fort bien soigné durant
une maladie: il décide la chose et l'accomplit en quinze jours.
Mais toutes les qualités de Madame Wesley se révèlent
alors vaines: elle est jalouse, et inintelligente. La désillusion
est si prompte que, trois jours après le mariage, Wesley écrit
dans son journal: "J'ai réuni les célibataires de la communauté
et les ai exhortés à rester célibataires."
Madame Wesley soupçonne,
en effet, son mari de toutes les bassesses. Elle veut lui imposer la vie
sédentaire, afin de le surveiller. Elle explose en scènes
continuelles, opère des perquisitions dans ses papiers, les vole,
survient à l'improviste, à 100 kilomètres de Londres,
afin de vérifier la fidélité de son mari... Elle
le frappe, le jette à terre, le traîne par les cheveux, sans
qu'il se défende. Elle n'hésite pas à livrer aux
ennemis de son mari des papiers qu'elle a saisis. Elle abandonne plusieurs
fois le domicile conjugal et il faut que Wesley la supplie d'y revenir.
Cela dure vingt ans. Un beau jour, elle quitte définitivement Wesley.
On lit dans son Journal: "Elle est partie pour New-York je ne sais pourquoi,
en me disant qu'elle ne reviendra jamais. Je ne l'ai pas délaissée,
je ne l'ai pas renvoyée, je ne la rappellerai pas." Elle vivra
encore dix ans après cette séparation. On a dit qu'une des
preuves de la grandeur de Wesley, c'est que ses infortunes domestiques
n'entraînèrent aucun contrecoup dans son ministère.
Au contraire, "il en sortit transformé".
Plusieurs historiens insistent
sur l'orgueil de Wesley. Le reproche n'est pas injuste; mais il ne faut
pas déduire des tendances autoritaires de Wesley qu'il n'agît
que par orgueil. Il gouverne selon la logique de son rôle, à
savoir qu'il est le chef d'un ordre. Lorsqu'il demande aux Méthodistes
de ne publier aucun livre sans son assentiment, quand il institue de son
chef une constitution (que ses disciples ne respecteront d'ailleurs pas),
il n'essaie pas tellement de tout ramener à lui que de constituer
un corps coordonné et de s'opposer aux tendances séparatistes
qu'il voit s'enfler dans le Méthodisme. La réaction méthodiste,
dès la mort du patriarche, suggère que le reproche d'autoritarisme
recouvre des griefs d'un autre ordre: on décidera de ne plus tolérer
de "dictature", de ne nommer le président et le secrétaire
de la conférence que pour un an, on préparera la rupture
effective avec l'anglicanisme. L'orgueil de Wesley, que nous ne nions
pas, dissimule aussi l'acharnement du chef "d'ordre" à maintenir
son œuvre contre les tendances dissolvantes ou novatrices.
Le havre de bien mourir
La vieillesse ne terrasse
Wesley qu'à l'âge de 86 ans: le 1er janvier 1790,
John Wesley constate dans son journal qu'il est désormais un vieillard
affaibli, à la vue troublée, à l’écriture
tremblante, à la bouche fiévreuse, à la démarche
lente et pénible. "Mais, Dieu soit béni! Je ne ralentis
pas mon travail et je puis encore prêcher et écrire." Les
témoins rapportent qu'il continue à se lever à quatre
heures du matin. Il prêche encore, aussi bien devant les adultes
que les enfants. Il lui arrive de prêcher trois fois le dimanche,
en trois endroits différents. A 87 ans, il fait une tournée
de cinq mois en Angleterre et en Ecosse. On imagine l'accueil des communautés,
qui se demandent si elles reverront le patriarche. Les mines sont désertées
à Kingswood dès le seul bruit de son arrivée. Wesley
ne renonce pas à prêcher en plein air. C'est au cours de
ce dernier voyage qu'il guérit le neurasthénique de Newcastle.
Il prêche devant un grand auditoire dans son village natal. Il peut
encore présider la conférence annuelle. Il garde le même
humour que dans sa jeunesse: à l'ouverture de la foire de Bristol,
il prêche sur le texte: Achète la vérité et
ne la vends pas.
Le 7 octobre 1790, il prêche
pour la dernière fois en plein air. Il abandonne son journal et
son livre de comptes. Il prêche, certains dimanches, dans des temples
anglicans - rien que chez des anglicans.
Son énergie étonne.
Il parle certes de la mort, mais sa prédication est toujours aussi
virile. "Si nous n'y prenons pas garde, écrit-il à un prédicateur,
nous dégénérerons en efféminés. Soldats
du Christ, debout!" Une semaine avant de mourir, il va prêcher à
32 kilomètres de Londres.
A partir du 25 février
1791, l'état de Wesley devient alarmant. Il perd conscience; mais
quand il va mieux, c'est pour dire en souriant au médecin: "Ils
ont plus de peur que je n'ai de mal." Il récite des cantiques,
parle de la sanctification. "Combien il est nécessaire que chacun
soit sur ce bon fondement: Je suis le plus grand des pécheurs.
Mais Jésus mourut pour moi... Nous devons être justifiés
par la foi, puis tendre à une pleine sanctification." Il répète
aussi: "Nous avons la liberté d'entrer dans le lieu très
saint par le sang de Jésus." Il chante encore des cantiques, mais
il ne peut plus écrire. Il se contente de dicter: "Dieu est avec
nous." On le voit prier, sans qu'on puisse toujours le comprendre. Une
fois, se croyant sans doute à la fin d'une réunion, il dit:
"Nous avons fini, séparons-nous." Il demande qu'on prie, et s'associe
par un amen fervent à la prière d'un Auxiliaire qui demande
la bénédiction de Dieu sur le Méthodisme après
la mort de Wesley. Il veut qu'on distribue gratuitement son sermon sur
l'amour de Dieu. Il parle du repos des serviteurs de Dieu, et s'écrie
en recevant un ami: " Le meilleur de tout, c'est que Dieu est avec nous!"
La veille de sa mort, il murmure encore des prières, des versets.
Il dit: "Les nuées distillent la rosée." Il a la force encore
de réciter le psaume 46. Le 2 mars 1791, après avoir dit:
"Adieu", il expire. Ses amis entonnent un cantique de louange. On l'enterre
de grand matin pour éviter la foule.
Cinquante-six ans plus tôt,
Wesley avait éprouvé une violente jalousie à l'égard
des Moraves qui ne craignaient pas de mourir.
Wesley mort, le réveil
subsiste
Les Anglais ne rendent pas
seulement justice au grand vieillard qui parcourut les pays noirs et les
campagnes du Royaume; ils mesurent encore l'influence que les Méthodistes
ont exercée dans les mœurs du XVIIIe et du XIXe
siècles: "Leur exemple, l'esprit d'émulation et d'imitation
ranimèrent le zèle religieux dans toutes les églises
protestantes. Leur influence se manifesta aussi par un admirable mouvement
de charité, le mouvement dit philanthropique, qui devait aboutir
à la réforme des prisons et, beaucoup plus tard, après
une campagne acharnée contre l'abominable traite des nègres,
à l'interdiction de la traite et à l'abolition de l'esclavage."
Le mouvement ouvrier n'a
pas eu, en Angleterre, ce caractère à la fois anticlérical
et antireligieux, qui traduit le ressentiment du prolétariat continental
à l'égard des Eglises qui se sont plus ou moins désintéressées
de lui.
On en a déduit que
Wesley a évité la révolution à l'Angleterre.
Quand ce serait vrai, nous n'y verrions pas de véritable éloge:
la tâche particulière des chrétiens n'étant
ni de susciter, ni d'éviter les révolutions; au surplus,
l'Angleterre avait derrière elle, quand Wesley naquit, deux révolutions
- et l'une d'elles, sanglante et acharnée, avait longtemps dressé
le pays contre lui-même. Si elle s'est socialisée sans haïr
le Christ, c'est sans doute parce que des témoins du Christ ont
su obéir à l'amour plus qu'aux préjugés, devant
les mouvements nés de la révolution industrielle, et qu'ils
l'ont fait par obéissance au Christ, et nullement par calcul politique.
Mais quelle erreur ce serait
de vouloir énumérer un a un les bienfaits - et les hauts
faits - du Méthodisme! Dieu seul peut le faire. D'ailleurs, l'apport
essentiel du Méthodisme n'est pas là. Un historien, qui
n'est pas méthodiste, écrit: "C'est tout le protestantisme
que l'esprit de Wesley allait renouveler ."
L'esprit de Wesley, en effet,
c'est le Réveil.
Ce ne sont pas les Eglises
méthodistes, ni les ouvrages de Wesley, ni la piété
méthodiste qui peuvent à eux seuls circonscrire le rôle
du troisième des Réformateurs. John Wesley informe toutes
les églises de la Réforme de la puissance du Saint-Esprit.
Il leur rappelle que ni les traditions (même protestantes), ni les
exigences de l'ordre ecclésiastique ne doivent s'opposer à
la liberté du Saint-Esprit. Tandis qu'en présence de la
succession apostolique et de la doctrine catholique des ministères,
les protestants s'en tiennent à des positions surtout négatives
ou défensives, Wesley les appelle à l'acceptation - non
plus théorique, mais quotidienne, avec ses risques inévitables
- des vocations et des ministères charismatiques. D'autre part,
le Méthodisme met l'accent sur l’œuvre positive du Saint-Esprit
dans les cœurs des chrétiens. La doctrine de la sanctification
est la réponse victorieuse aux deux tentations permanentes du protestantisme
du XVIe siècle (que le Méthodisme n'a d'ailleurs
pas évitées lui-même): le moralisme puritain, d'une
part, et l'hérésie antinomienne, la passivité devant
le péché, de l'autre.
C'est dans cette double certitude,
toute tissée de joie et de puissance victorieuse, que le Réveil
allumé grâce à Wesley a enveloppé le protestantisme.
De même que l'influence
de Cook et de Haldane fut considérablement plus étendue
que les chiffres des statistiques méthodistes ne l'indiquent; et
de même encore que les 75 000 membres de l'ordre méthodiste
en Grande-Bretagne, les 60 000 en Amérique, ne traduisent qu'en
partie les fruits du labeur de Wesley quand il mourut; ainsi, l'action
du Réveil dépasse toujours les limites des organisations
et des Eglises qui y prennent naissance ou qui s'en réclament directement.
Nous pensons que l'exemple
personnel de Wesley demeure, à cet égard, toujours vrai.
Que la grâce de Dieu nous préserve, les uns et les autres,
du sectarisme chrétien, aussi bien que de l'aveuglement spirituel.
Référence:
Réveil Digeste Chrétien n° 11/1951, Fadiey Lovsky
Source:
http://www.chez.com/voxdei/wesley4.htm
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