Il est à noter que
le mot latin Lex (Loi) a souvent désigné, de façon
à la fois plus précise et plus englobante, la religion
[1]. C'est ainsi que S. Augustin, dans son De Vera
Religione (XXIII,20) parle de la Christiana lex.
Durant l’Âge de la
Foi, Jean de Salisbury (1110- 1180), cet Anglais qui mourut évêque
de Chartres et a magnifiquement écrit : "Si le vrai Dieu est
la vraie Sagesse, alors l'amour de Dieu est la vraie philosophie" (Philosophus
amator Del est; est philosophe celui qui aime Dieu) [2],
emploie à plusieurs reprises le mot Lex pour désigner
le culte religieux ou la profession de la Foi, dans son Polycraticus.
Raymond Lulle (1235-1315) [3], qui avait appris
l'arabe et était allé, à plusieurs reprises, évangéliser
les Sarrasins, compare la Lex Mahumetana (La Loi de Mahomet)
et la Christiana Lex quand il veut comparer la Foi de l'Islam
et la Foi chrétienne [4]. Roger Bacon (1220-1292)
[5]- "La sagesse totale a été donnée
par un seul Dieu, à un seul monde et pour une seule fin"; "Il
n’y a qu'une seule parfaite sagesse qui est contenue dans les Saintes
Écritures" - parle lui aussi de Lex Christiana pour
désigner la Foi chrétienne et de Lex Antichristi pour
désigner les autres religions.
R. J. Rushdoony, l'un des
initiateurs de la théonomie réformée contemporaine,
s'inscrit donc dans une ancienne et solide tradition lorsqu'il dit à
son tour :
"En toute culture, le
Droit, la Loi, est d'origine religieuse... La source du Droit est le
dieu de toute société. Si la raison humaine est la source
du Droit, c'est que la raison humaine est le dieu de cette société-là.
Si c'est une oligarchie, ou une Cour suprême, ou un Sénat,
ou un chef d’État qui est à la source du Droit, cette
source est alors le dieu du système... L'humanisme moderne, en
plaçant la source du Droit dans le peuple ou dans l’État,
désigne le dieu de son système... Dans la culture occidentale,
la source du Droit a été transférée de Dieu
au peuple ou à l'État, alors que le pouvoir historique
et la vitalité de l'Occident avaient été longtemps
situés dans la Foi et le Droit bibliques" [6].
Toute Foi, y compris celle
des (prétendus) athées (= sans Dieu !), et, en conséquence,
toute Loi, toute Morale, tout Droit non-bibliques, sont en rivalité,
sinon en opposition déclarée, avec la Foi, la Loi, la
Morale et le Droit révélés en l’Écriture
Sainte (la Lex) de Dieu. L'homme a toujours la responsabilité
de choisir entre la théonomie et son désir d'autonomie.
En réalité, seul le vrai Dieu est autonome (= Loi à
soi-même et pour ses créatures). Calvin disait en une phrase
lapidaire : Deus legibus solutus est quia ipse sibi et omnibus Lex
est (Dieu n'est pas soumis aux lois parce qu'Il est lui-même
Loi pour lui-même et pour tout et tous) [7].
La question est encore
et toujours : quelle est la Norme ? Où se situe l'Autorité
?
Et la réponse est
encore et toujours : la Norme, la Lex, est la Loi alliancielle
qu'est la Sainte Écriture du Christ ; elle est au cœur de notre
religion (= de notre relation à Dieu) et de notre service cultuel
et culturel qu'elle identifie, définit et ordonne. Pour notre
salut et notre joie. L'Autorité est celle du Dieu trinitaire
qui, une fois pour toutes, nous a donné sa parole d'Alliance.
Voilà la théonomie
!
L'humanisme, lui, ayant
foi en l'Homme, ou en sa Raison, ou en tout autre dieu
qu'il choisira (Évolution, Démocratie, État Providence,
etc.) croit pouvoir définir à son gré Droit, Loi
et Morale; avec toutes leurs variations possibles, successivement ou
pluralistiquement. Et, pour être dans le mouvement, certains
chrétiens, contaminés par l'humanisme, croient pouvoir
faire appel, eux, à la Révélation naturelle.
- Aux humanistes, il faut
rappeler, avec Lecerf, que : "Le péché siège
au centre même de la conscience intellectuelle de l'homme. Si
la raison était normale ("elle ne l'est plus depuis la chute",
P.C.), elle consentirait à demeurer une raison raisonnée
(normée par Dieu, P.C.). Nous ne la verrions plus aspirer
à devenir raison ratiocinante ("ergoteuse, abusive", P.C.).
La raison pratique,
qui se proclame autonome, pèche, car il y a un seul Législateur
: Dieu; et ce Législateur, elle le méconnaît pour
s'installer à sa place.
La raison théorique
pèche aussi, car elle méconnaît son rôle subordonné
d'organe, d'instrument conditionné par le Vrai objectif, pour
s'ériger en norme suprême et en source fallacieuse du savoir.
Dans l'ordre de la connaissance,
comme dans l'ordre de la toi morale, l'homme est partout substitué
à Dieu. Il (en) résulte que le péché (provoque)
un conflit entre la raison suprême de qui tout dépend et
la raison subordonnée qui voudrait s'affranchir de sa dépendance"
[8].
- Aux chrétiens
contaminés par l'humanisme, il faut rappeler que, s'il est vrai
qu'il y a bel et bien une Révélation naturelle de Dieu
dont les hommes ont l'évidence sous les yeux,
"ce que l'on peut connaître
de Dieu est manifeste pour les hommes : Dieu le leur a manifesté.
En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles
: éternelle puissance et divinité, sont visibles dans
ses œuvres pour l'intelligence" (Romains 1:19-20),
ces mêmes hommes
"se sont fourvoyés
dans leurs raisonnements et leurs cœurs insensés se sont enténébrés
ils ont échangé la vérité de Dieu contre
le mensonge... et, comme ils n'ont pas eu souci de garder la connaissance
de Dieu, Dieu les a livrés à leurs intelligences sans
jugement : ainsi font-ils ce qu'ils ne devraient pas et sont-ils remplis
de toutes sortes d'injustice, de perversité... ennemis de Dieu"
(Romains 1:21,25,28,29).
Pour que la Révélation
naturelle reprenne ses formes, ses couleurs et son sens, il faut que
les fidèles "chaussent les lunettes de l'Écriture" (Calvin)
afin que le regard de leur cœur, enfin corrigé, clarifié,
restauré, retrouve l'évidence, là, sous leurs yeux,
que leur intelligence "fourvoyée" ne discernait pas. Alors, et
alors seulement, la Révélation naturelle, qui a toujours
été là, leur apparaît dans sa douce, belle
et forte lumière.
Rushdoony a fort bien discerné
que : "la raison pour laquelle certains chrétiens choisissent
de chercher un fondement ("de la morale et du droit", P.C.) en l'homme,
c'est qu'ils aspirent à trouver un terrain commun à tous
les hommes et à toute la réalité hors de Dieu.
Ils veulent échapper à ce qu'ils appellent un "système
sectaire de pensée". Ils affirment la nécessité
d'une philosophia perennis, d'une philosophie permanente
qui serait commune à tous les hommes en tant qu'hommes, en dehors
de toute considération théologique. Ces chrétiens
pensent qu'ainsi ils peuvent établir les vérités
de la religion chrétienne d'une manière rationnelle satisfaisante
pour tous; et qu'en place d'une révélation exclusive et
bornée pourra être établi un terrain commun d'entente
[9].
A l'inverse, tout chrétien
fidèle est appelé à "sanctifier en son cœur
le Christ Seigneur, à être toujours prêt à
la défense (en grec : apologia), avec douceur et respect, de
l'espérance chrétienne devant quiconque lui en demande
compte" (1 Pierre 3:15-16); "les armes que nous utilisons
dans notre combat ne sont pas d'origine humaine ; leur puissance
vient de Dieu, pour la destruction des forteresses ; nous détruisons
les faux raisonnements et tout ce qui se dresse orgueilleusement contre
la connaissance de Dieu, faisant captive toute pensée pour l'amener
à obéir au Christ" (2 Corinthiens 10:4 et 5).
Voilà qui nous oblige,
en conscience, à croître dans l'intelligence de la Foi,
dans la connaissance de l'Écriture du Christ et du Christ de
l'Écriture : nous, c'est-à-dire non seulement les pasteurs
et docteurs (au reste trop souvent paresseux et infidèles), mais
tous les membres de l'Église. L'évangélisation,
en tant que vocation et tâche de tous, c'est d'abord et surtout,
et ce n'est pas le plus facile, cette apologie-là, dans les contacts
constants et ordinaires de l'existence avec les prochains, quels qu'ils
soient. C'est, en tout cas, ce qu'ordonne, en priorité, la Parole
de Dieu, et ce qui s'est vérifié, d'abord aux trois premiers
siècles de notre ère sous plusieurs terribles persécutions,
comme ensuite maintes fois dans l'histoire. D'où l’importance
capitale, à côté de la prédication, d'une
catéchèse catholique (= fidèle à l'Écriture-Parole
de Dieu) continue, dans l'Eglise; ce qu'ont compris aussi bien les Docteurs
de l'Eglise ancienne que ceux de la Réformation, avec leurs petits
et grands Catéchismes.
Il est bien évident
aussi qu'une manière chrétienne de vivre, en rupture chaque
fois qu'il le faut avec celle du monde ambiant (Romains 12:1-2), doit
accompagner et pratiquer l'apologie de chaque jour : aucun des aspects,
aucune des parties, pas un pouce de terrain, de notre existence ne devant
échapper à la Vérité révélée
et à la seigneurie royale du Christ notre Dieu. "Mettez en
œuvre (verbe grec katergazomai) votre salut, avec crainte et tremblement,
car Dieu produit (verbe grec energeô) en vous le vouloir et le
faire, selon son bienveillant dessein" (Philippiens 2:12-13).
La Foi que nous devons "défendre
devant quiconque nous en demande compte" doit être défendue
conjointement, inséparablement, par notre dire et notre faire;
et ce dans tous les domaines de notre vie ici-bas, régis souverainement
par le seul Sauveur-Seigneur, qu'il s'agisse de notre vie personnelle,
intime, ou de nos vies conjugale, familiale, civique, professionnelle,
ecclésiale,…
Référence:
L'Humanisme Défait Par la Loi de
Dieu, Pierre Courthial - Lausanne,
édition L’Age d’Homme, 1996. - Utilisé avec l'autorisation
de Jean-Marc Berthoud.
Notes:
* Pierre Courthial est doyen honoraire
de la Faculté libre de théologie réformée
d'Aix-en-Provence.
[1]
"Lex (Law) as Another Word for Religion : A lesson from the Middle Ages",
par Thomas Schirrmacher, Calvinism Today, vol. II, N°2, avril 1992,
p.5.
[2]
La philosophie au Moyen Age, par Etienne Gilson (Payot, 1947), pp.274-277,
etc.
[3]
Ibid., pp.461-465, etc.
[4]
Par exemple, Lettera a Maonietto II, 115 ; cf. note 12 ci-dessus.
[5]
Gilson, op. cit., pp. 476-482, etc.
[6]
Institutes of Biblical Law, p.4.
[7]
Commentaire du Deutéronome (1563), Corpus Reformatorum 52, 49, 131.
[8]
Introduction à la dogmatique reformée ("Je Sers", Paris, 1932) vol.
1, pp. 111 ss.
[9]
Op. cit., pp.684-685. Là, peut se trouver une explication de la dérive
intellectuelle de Jacques Maritain (1882-1973) depuis son Antimoderne,
de 1922(animé par le motif-de-base scolastique "nature = grâce") jusqu'au
Paysan de laGaronne, de l966, en passant par Humanisme intégral, de
1936. Si j'avais apprécié, dans Antimoderne, lu en 1930, son : "les
pentes de l'intelligencemoderne sont contre nous ; mais les pentes sont
faites pour qu'on les remonte",j'ai déploré que J. Maritain se soit
laissé gagner par l'humanisme... moderne !
Revenir
en haut
Accueil
| Auteurs | Biographies
| Thèmes | Réveils
| Livres/K7/CD |
Liens | Traduction |
Sentinelle 24-7 |
Vision & Historique
| Séminaires | E-mail
Copyright © 2003. Ensemble
Rebâtissons la Maison.