Il
y a environ 70 ans, un mouvement spirituel naquit dans un petit village
du sud de la Drôme : au cours du culte paroissial, une paysanne
avait pris la Parole de Dieu à son compte …
Tandis que
le feu de cette Parole gagnait de village en village, une équipe
missionnaire s'est trouvée comme réquisitionnée
pour porter la nouvelle au loin. Témoins d'abord surpris, puis
convaincus, ces pasteurs prirent le nom insolite de Brigade de la Drôme.
En quelques années, ils parcoururent les temples de l'Europe
francophone.
Le pasteur
Edouard Champendal, neveu du pasteur Bonifas de Nyons que les vieux
Nyonsais n'ont pas oublié, et qui fut lui-même pasteur
à Vinsobres, a rédigé quelques pages manuscrites
sur la Brigade de la Drôme et sur son influence profonde de 1922
à 1939. Comme on le constatera, elle se caractérisait
par la mobilité de ses prédicateurs au premier rang desquels
on peut citer Henri Eberhard, Pierre Caron, Edouard Champendal et Jean
Cadier (1), et par la stabilité de ses racines : les paroisses
rurales de la Drôme et la théologie calvinienne.
La Brigade
garde sa place dans l'histoire des églises protestantes ; elle
a contribué au renouveau spirituel et biblique de l'avant-guerre
et elle a préparé la réunion de l'Eglise Réformée
de France en 1938.
(D'après
Michel Boutier " Le matin vient ", avant propos de l'ouvrage cité
p. 7-8)
C'est
au cours de mon ministère drômois que devait naître
le mouvement de réveil religieux auquel on donna le nom de Brigade
de la Drôme, et dont la période héroïque se
situe surtout entre les années 1923 à 1930.
Il me faut en dire ici
les principales caractéristiques, en espérant que Dieu
me prêtera vie pour en décrire, un jour, longuement les
origines, les péripéties, les espoirs, les résultats
et l'influence qu'il exerça sur nombre de pasteurs de langue
française entre les deux guerres. Je considère comme un
privilège inouï le fait d'avoir vécu cette période
qui a influencé tout mon ministère et toute mon orientation
biblique.
Le réveil de la
Drôme est né d'une intense souffrance ressentie par ceux
qui en furent les pionniers, devant les ruines spirituelles de l'après-guerre.
Qui décrira la déception des jeunes pasteurs (venus de
facultés de théologie très diverses : Montauban,
Montpellier, Paris, Genève) au moment où ils commencèrent
l'exercice de leur ministère dans des paroisses drômoises
de vieille tradition huguenote, mais où la vie religieuse était,
sinon volatilisée, du moins nettement amoindrie. La séparation
de l'Eglise et de l'Etat, le mouvement laïc succédant à
la vague anti-cléricale du commencement du siècle avaient
assoupi les âmes. Le pasteur était considéré
par beaucoup comme un être anachronique dont l'utilité
paraissait être réduite au rang de " baptiseur ", de "
mariageur ", d'ordonnateur de pompes funèbres, d'aimable visiteur
et de " prêtre " protestant présidant un culte hebdomadaire
où allaient, par coutume, encore quelques personnes. Le ministère
pastoral consistait-il dans le maintien de cette vague religiosité
?
Cette souffrance amena,
chez les jeunes conducteurs spirituels, à employer une arme puissante
: la prière ardente pour leurs troupeaux trop enclins à
se contenter d'une situation aussi anormale. On a beaucoup prié,
beaucoup intercédé, dans les montagnes de la Drôme
entre les années 1922 et 1930.
C'est dans la vaste paroisse
de la Motte Chalancon que débuta le réveil en été
1922. C'est sur cette population rurale que soudain, en pleine moisson,
alors qu'on n'abandonnait les faucilles que pour le repos ou les fêtes
votives tapageuses, retentit un étrange message : " Dieu est
grand ", " Dieu est souverain ", " Dieu est Dieu ", " Dieu ne se contente
pas de ce que vous êtes " … On vit des hommes et des femmes, harassés
par les labeurs du jour, rentrer dans les vieux temples abandonnés
et poussiéreux, et là, écouter, jusqu'à
une heure avancée du soir, l'appel du Dieu dont on ne se moque
pas. Et l'épisode le plus touchant de ce mouvement fut cet incident
autour d'un culte : une femme (2) se leva et parlant moitié patois
et moitié français, coupa la parole au prédicateur,
élevant la main en un geste d'autorité, puis : " J'ai
compris aujourd'hui, dit-elle, que Dieu ne se contente pas de ce que
je suis. Jusqu'à présent, j'ai vécu pour mes terres
et mon troupeau de brebis. Je prends l'engagement de mettre Dieu à
la première place dans ma vie et dans mes affaires ; le reste
viendra après ! "
Dieu d'abord ! Le Réveil
de la Drôme est dans cette parole. Elle enflamma toute cette région
des montagnes aux plateaux élevés et aux ombres profondes,
et c'est par dizaines que les conversions se multiplièrent dans
les semaines qui suivirent.
Dieu d'abord ! Non pas
un Dieu de religion dont on se sert, mais un Dieu qui demande à
être servi. Non pas un Dieu facile, commode et satisfait de rien,
reconnaissant du peu qu'on lui donne, mais un Dieu grand, souverain,
un Dieu saint à qui l'on doit tout, à qui l'on donne tout,
qui devient la raison d'être, le centre, la passion de la vie,
un Dieu qui est Dieu…
A la base du Réveil
-ai-je besoin d'insister ?- Dieu ! Non point l'homme, sa souffrance
qui a besoin d'être confortée, ses angoisses devant la
mort qui ont besoin d'une espérance, ses difficultés devant
la vie qui appellent une issue, un secours, ses besoins de spiritualité
qui attendent une promesse d'en haut, voire même une certitude.
Non ! Au départ,
la souveraineté de Dieu, la grandeur de Dieu, la sainteté
de Dieu, les exigences de Dieu.
Ces paysans, surpris en
plein labeur harassant, ne s'y trompèrent pas : " Ils abolissent
la religion ", s'écrièrent-ils. C'était bien cela.
Ils saisissaient la révolution profonde qui s'opérait
dans le message des jeunes pasteurs qui leur parlaient. La religion,
ç'avait été des rites touchants, quelques vagues
traditions, quelques formules conservées au tréfonds du
subconscient. Mais le Réveil, c'était Dieu, Dieu descendait
parmi eux comme une parole inspirée du moment qui tombait comme
une hache et bousculait et tranchait le plan tellement horizontal de
leur vie : " Dieu ne se contente pas de ce que vous êtes ! ".(3)
Une des premières
conséquences du Réveil, dans la paroisse de la Motte Chalancon,
fut un élan collectif pour la restauration des temples du chef-lieu
et des annexes. Ces sanctuaires, modestes et souvent étranges,
connurent une nouvelle jeunesse et se remplirent de fidèles participant
avec plus de ferveur que naguère aux cultes et aux services de
Sainte Cène.
C'est précisément
à l'occasion d'une fête annoncée pour célébrer
la restauration du petit temple d'Arnayon, que je suis entré
en contact avec le Réveil. C'était le 24 septembre 1922.
Les détails de ce beau dimanche automnal resteront à jamais
gravés dans ma mémoire. L'assemblée nombreuse était
déjà groupée en plein air devant le petit temple,
quand je réussis à y parvenir après avoir laissé
ma petite quadrilette Peugeot sur la route principale. Je fus frappé
par le rayonnement paisible et heureux des visages des participants
parmi lesquels on remarquait la présence de plusieurs jeunes.
Un chant s'éleva : " Plus que vainqueurs, telle est notre devise
… ". Pourquoi retentit-il en moi avec un écho si particulier
? L'inauguration du temple restauré eut lieu de l'extérieur
car l'assemblée, trop nombreuse, n'aurait pas pu être contenue
dans le sanctuaire lui-même.
On m'offrit de prendre
la parole. Je balbutiai quelques mots et je m'en tirai en racontant
un épisode historique qui s'était déroulé
sur ces lieux mêmes, près de 200 ans plus tôt. Le
supplice de cette jeune fille huguenote, Marguerite Latty, condamnée
à être brûlée vive à cause de son opiniâtreté
à rester fidèle à sa foi. Tandis qu'on la conduisait
au bûcher élevé sur ce qui est aujourd'hui l'emplacement
du temple, un soldat de l'escorte la demanda en mariage à condition
qu'elle abjurât. La courageuse jeune fille répondit avec
fierté qu'elle allait célébrer dans le ciel des
noces infiniment plus belles que toutes celles qui avaient lieu sur
la terre et elle mourut en entonnant l'hymne des martyrs : " La voici
l'heureuse journée ".
Mais j'étais bouleversé
: il y avait dans l'attitude de cette foule quelque chose que je n'arrivais
pas à saisir et qui la marquait visiblement. Un souffle d'en
haut animait ces gens. Dans la vie de tout individu, il est des heures
sublimes qui marquent une orientation nouvelle ou le début d'un
progrès moral : je connaissais une de ces heures. Le soir tombait
lentement tandis que je m'entretenais, dans son bureau, avec l'évangéliste
instrument de ce Réveil qui m'apparaissait sous la forme d'une
prise au sérieux de Dieu, de Sa Parole, de Ses exigences. Un
verset acheva de ma convaincre : " Allez, prêchez, et dites :
le Royaume des Cieux est proche… ". La lutte intérieure dura
chez moi encore trois journées. Eh ! Quoi, me fallait-il renoncer
à la pensée forgée pendant quatre ans au cours
de mes études ? Fallait-il passer, moi aussi, par cette repentance
salutaire qu’avaient connue ces humbles paysans drômois ? Fallait-il
se lancer dans un inconnu qu'éclairerait, au jour le jour, un
Dieu d'amour qui n'abandonne jamais ceux qui se confient en Lui ? De
nouveau une strophe de cantique me vint en aide : " Entre tes mains
j'abandonne tout ce que j'appelle mien ".
Je ne mesurai pas immédiatement
l'importance du petit mot : " tout ". Dieu est bon de ne pas me l'avoir
révélé d'un seul coup, mais petit à petit
dans la lecture de la Bible et dans la prière.
C'est ainsi que je devins
brigadier de la Drôme.
Le Réveil m'apporta
beaucoup.
Il me donna d'abord la
joie de la communion fraternelle, avec mes frères de la Brigade,
et aussi avec tous ceux qui dans ma paroisse connurent les décisions
salutaires. Je pense avec émotion à ces rencontres au
cours desquelles nous préparions nos missions de réveil,
demandant, chaque fois, à Dieu le message qu'il convenait d'adresser
à l'auditoire devant lequel nous allions paraître. Je songe
à ce partage spirituel qui nous permettait de grandir dans la
sanctification. Je pense à la joie qui nous étreignait
devant les repentances, les changements de vie qui s'opéraient,
les confessions et les engagements qui se manifestaient.
Combien me sont devenues
chères tant de personnes vivant dans d'humbles demeures montagnardes
où j'aimais m'asseoir près de l'âtre et parler des
choses de la vie éternelle !
La première mission
présidée par la Brigade eut lieu précisément
dans ma paroisse de Vinsobres. A quatre reprises, le vieux temple se
remplit d'une foule attentive, visiblement saisie par le message qui
était proclamé. Plusieurs connurent l'expérience
bénie de la conversion (février 1923).
La jeunesse de l'annexe
de Sainte Euphémie connut aussi une grande date ; le dimanche
28 juin 1925, un grand autocar l'emmena jusqu'à la Motte Chalancon
où une seule assemblée avec la jeunesse de l'Eglise lui
ouvrit des horizons nouveaux. Elle revint emportant l'esprit du Réveil
dans le cœur et, par son attitude fervente et joyeuse, elle frappa les
habitants du haut vallon de l'Ouvèze. Que de joie m'apportèrent
ces jeunes, humbles dans leur maintien, fermes dans leur foi, recherchant
Dieu dans la prière et dans la lecture de la Bible ! Comme je
l'ai dit, plusieurs entrèrent dans les carrières où
l'on sert Dieu et les autres. Deux d'entre elles allèrent jusqu'en
Syrie soigner le trachome des arabes, deux autres exercèrent
un véritable ministère dans leur vocation d'infirmière.
Une autre est l'épouse d'un pasteur baptiste à Mulhouse.
Le Réveil m'amena
personnellement à adopter vis-à-vis de la Bible une attitude
que ne m'avaient pas donnée mes maîtres. La Parole de Dieu
devint vivante pour moi : je la relus avec passion, refaisant petit
à petit mes études de théologie et tressaillant
de joie devant Ses révélations.
Mais comment garder pour
soi ce qui a merveilleusement répondu à vos besoins ?
Allons le porter à d'autres…
Et ce fut l'apogée
de la Brigade.
De
gauche à droite:
Henri Eberhard, Pierre Caron, Jean Cadier et Edouard Champendal
(Le matin vient, Jean Cadier 1990)
Elle est racontée
tout au long dans notre journal mensuel Le matin vient… La lecture
de ces pages vous dira nos voyages fous à travers les pays de
langue française (France, Suisse, Belgique, Algérie) où
nous présidâmes une centaine de missions de réveil,
de nombreuses réunions pastorales, tout en demeurant en contact
avec nos paroisses drômoises sur lesquelles nous nous repliions
régulièrement et qui acceptaient avec quelques difficultés
nos déplacements. Temps béni, souvenirs émouvants
et glorieux qui parlent encore à nos cœurs : Ardèche aux
habitants des âpres ravins, Nîmes et sa jeunesse prenant
d'assaut la table des enrôlements pour Christ, Val de Fressinières
où il semblait qu'on revivait le temps de Félix Neff,
Cévennes embrasées par l'Esprit, temples et collégiales
de Suisse où les foules se pressaient avides du message du renouveau,
Dar Naama, vieux repaire de corsaires algériens transformé
en lieu de prière où l'on s'abandonne au Dieu qui sauve
toujours. Peu importe, dès lors, les fatigues des longs voyages
nocturnes, l'inconfort des compartiments de chemins de fer, nous irons
des rives de la Méditerranée à celles de l'Océan
et de la Manche et des mers aux plaines de Belgique et aux monts neigeux
de Suisse, porteurs du message : " Dieu ne se contente pas de ce que
vous êtes " … " il faut que tout change " … " Lui, Dieu, n'a pas
changé ". Nous nous jetterons à genoux dans la sacristie
de tel temple parisien avant d'affronter, insuffisamment préparés,
un auditoire étonné ; nous verrons accourir des foules
importantes que des trains spéciaux déverseront dans telle
localité du Jura bernois où la présence des Brigadiers
est un évènement, et, à Genève, l'immense
salle de la Réformation connaîtra des bousculades à
l'ouverture de la première réunion.
C'est cependant à
la Drôme que nous avons consacré notre action première
en parcourant chacune des paroisses des Brigadiers. Oh ! Ces journées
où nous partagions la vie de nos paroissiens agriculteurs, logeant
dans de pittoresques chambres où le lit au matelas plein de son
était dressé au milieu des sacs de récoltes. Humbles
temples éclairés à l'acétylène où
se pressait un auditoire parfois fatigué par les travaux des
champs, mais toujours avide d'écouter : jeunes de la Drôme
qui vous êtes donnés au Seigneur, l'avez-vous regretté
?
Le Réveil dans la
Drôme elle-même nous a amené à créer
deux innovations pour la région : les conventions chrétiennes
et l'Ecole d'évangélistes de la Brigade.
La première convention
se déroula à Dieulefit en septembre 1923. Elle connut
d'emblée un grand succès qui nous encouragea à
les poursuivre. Ces conventions s'étendaient du mardi soir au
dimanche soir. Le matin, une étude fortement préparée
était présentée par un Brigadier ; l'après-midi,
entretiens, messages, intercession remplissaient le temps ; le soir,
des réunions d'appel groupaient les fidèles de l'Eglise
aux conventionnistes venus de fort loin. Le dimanche final était
marqué par la célébration d'un culte solennel et
d'une vibrante réunion de jeunesse. La plupart des études
des conventions ont été publiées dans des brochures
: la croix de Jésus Christ, l'Eglise du Réveil, le prophétisme
du Réveil, Jésus Christ, etc.
L'Ecole d'évangélistes
- Notre Ecole - fut créée à la Motte Chalancon
en 1927 et fut transférée, l'année suivante, à
Dieulefit où elle s'installa dans une villa offerte par un couple
chrétien au quartier de la Roseraie. Sa création s'imposait
pour instruire dans les choses de la Bible les jeunes de nos paroisses
qui discernaient l’appel de Dieu pour le service chrétien. Elle
compte, une année, plus de 22 élèves, et elle dura
jusqu'en 1933. Plusieurs de ses élèves sont entrés
au service de Dieu dans les Eglises de la Réforme française
ou dans des œuvres missionnaires ou charitables.
Le mouvement de la Brigade
lui-même a duré jusqu'en septembre 1939, époque
à laquelle la guerre mit fin à son activité.
Texte écrit vers 1960
Notes:
1 - Auteur
de l'ouvrage Le matin vient, les bergers et les mages éditions,
Paris 1990, 194 p.
2 - Dans
le petit temple d'Establet. La personne en question s'appelait Alice
Ponson.
3 - Voir Réveil
ou vie intérieure par Henri Eberhard, Matin vient, février
1934
Source: http://perso.wanadoo.fr/erf.baronnies/Hist.Brigade.htm
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