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Le Réveil Méthodiste du XVIIIe siècle

Le Réveil Envoyé du Ciel qui Bouleversa la Face de l'Angleterre

Par Matthieu Lelièvre

Aucun historien, voulant étudier le développement de l'Eglise de Jésus-Christ dans le monde, ne peut ignorer le puissant mouvement de Réveil religieux que fut le Méthodisme et auquel le nom de Wesley est attaché. Au cours des ans, des témoins du Seigneur ont marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de l'Eglise, tels Martin Luther, Jean Calvin, John Wesley et bien d'autres.

On ne saurait contester l'actualité de Wesley, cet homme que Dieu a suscité pour renouveler l'Angleterre décadente au 18e siècle. Après avoir expérimenté le parfait salut reçu par la foi en Jésus-Christ, le Fils Unique et éternel de Dieu, Wesley a été le prédicateur inlassable de l'Evangile, offert à tout être humain. Or les leçons du passé servent nécessairement au présent. Les besoins profonds des hommes trouvent leur pleine satisfaction en Jésus-Christ, en Jésus-Christ crucifié, ressuscité, glorifié et revenant un jour dans Sa gloire et Sa toute-puissance divine. (Samuel Samouélian, Nîmes, France, janvier 1992 - Extrait de la préface de la biographie John Wesley, sa vie et son oeuvre, de Matthieu Lelièvre)

 

INTRODUCTION (1ère Partie)

L'ANGLETERRE AU COMMENCEMENT DU XVIIIème SIECLE

Avant de raconter la vie et l'œuvre de l'homme que Dieu suscita, au XVIIIème siècle, pour diriger une seconde réformation, il convient de jeter un coup d'œil sur l'état religieux des pays protestants, et d'abord sur les pays de langue anglaise où s'exerça surtout le ministère de Wesley et de ses compagnons d'œuvre.

La tache originelle du protestantisme anglais fut une acceptation incomplète des principes de la Réformation. Il eut le malheur d'avoir pour parrain le roi Henry VIII, qui ne voulait rompre avec le passé que sur la question de la suprématie, qu'il enleva au pape pour se l'attribuer à lui-même. Ce prétendu réformateur brûlait comme hérétiques les partisans des doctrines de Luther et faisait pendre comme traîtres les catholiques fidèles à l'autorité du pape1. Sans le vouloir, il favorisa néanmoins la propagande évangélique, et les doctrines nouvelles firent, à son insu, leur chemin parmi le peuple. Le règne du pieux Edouard VI, quoique bien court, permit à la réforme anglaise de jeter dans le sol des racines profondes, que le vent de la persécution, déchaînée par Marie Tudor, ne réussit pas à arracher.

Avec Elisabeth, l'Eglise anglicane se fonda définitivement; elle naquit d'un compromis entre les prétentions de l'Etat à la suprématie religieuse et les convictions évangéliques des réformés. Elle conserva une organisation hiérarchique et des formes liturgiques empruntées à l'Eglise de Rome, mais elle adopta la langue vulgaire et invita les fidèles à joindre leurs voix à celle de l'officiant. Sa confession de foi des trente-neuf articles fut telle que Calvin et Knox auraient pu la signer, mais son rituel conserva des traces de catholicisme qui soulevèrent bien des protestations.

Ce fut surtout contre la prétention de la royauté à gouverner l'Eglise que s'élevèrent les réclamations de tous ceux pour qui la réforme impliquait un retour au christianisme apostolique. Bien qu'Elisabeth eût formellement répudié pour elle-même le caractère sacerdotal, que son père avait revendiqué, elle n'en restait pas moins le chef de l'Eglise d'Angleterre. Cette Eglise, nourrie et élevée dans les bras du pouvoir royal, dont les embrassements faillirent l'étouffer, resta donc une institution politique plus que religieuse.

Ses ministres, chargés d'enseigner au peuple la pure foi évangélique, étaient absolument insuffisants. Un grand nombre, pour conserver leurs bénéfices, avaient changé plusieurs fois de credo, suivant les ordres ou les caprices du souverain. Catholiques non romains sous Henri VIII, protestants sous Edouard VI, retombés dans le papisme avec Marie, ils revinrent au protestantisme avec Elisabeth; il y en eut 200 à peine, sur 9 400, qui préférèrent leurs convictions à leurs bénéfices. La plupart étaient fort ignorants. La sécularisation des biens ecclésiastiques les avait réduits à une condition misérable. Plusieurs étaient obligés, d'après Southey2, de se faire, pendant la semaine, tailleurs, menuisiers et même cabaretiers. "Ils gagnaient leur pain quotidien, dit Macaulay, en cultivant leur champ, en élevant des porcs, en chargeant des tombereaux de fumier, et tout leur travail ne les préservait pas toujours de l'ennui de voir vendre leur concordance et leur écritoire par voie de justice. C'était un beau jour que celui où ils étaient admis dans la cuisine d'une bonne maison et régalés de viande froide et de bière par les domestiques3."

La réforme anglaise eût été bien compromise si elle n'avait eu d'autres propagateurs que les membres de ce clergé officiel, qui s'étaient bornés à substituer l'anglais au latin dans leurs offices, parce que l'ordre leur en était venu de la Cour. Heureusement qu'à côté de la réforme officielle, qui fut l'œuvre de la royauté, il s'en produisit une autre, qui fut l'œuvre du peuple. Le Puritanisme fut, pendant un siècle, une école de piété et de liberté, et ses exagérations et ses étroitesses ne doivent pas nous faire méconnaître la grandeur des services qu'il rendit au protestantisme. Sous la forme presbytérienne en Ecosse, sous la forme indépendante en Angleterre, il représenta un mouvement religieux intense qui a laissé des traces profondes dans l'histoire de ces pays. L'opposition acharnée que lui fit la royauté l'amena à descendre sur le terrain dangereux des luttes politiques, où il prit parti pour les droits du peuple contre le despotisme royal. Son triomphe éphémère avec Cromwell, et les vertus qu'il montra en face des persécutions à l'époque de la restauration des Stuarts ne le sauvèrent pas d'un déclin religieux rapide. Les agitations du XVIIème siècle eurent donc un double résultat, également déplorable. En maintenant l'Eglise anglicane dans une situation d'absolue dépendance à l'égard de l'Etat, elles l'empêchèrent de conquérir la puissance religieuse qui lui avait manqué à l'origine. Et, en faisant du puritanisme un parti politique, elles tarirent presque en lui cette sève spirituelle qui l'avait distingué à ses débuts. Triste résultat des révolutions, qui semblent ne pouvoir fonder la liberté d'un peuple qu'en corrompant sa foi et ses mœurs! La Révolution de 1688, si grande dans ses effets politiques, parut longtemps stérile au point de vue moral. La réforme religieuse, qui devait la compléter, ne vint que beaucoup plus tard, et, en attendant, il se produisit une recrudescence effrayante de démoralisation. "Jamais, dit un écrivain moderne, un siècle ne s'est levé sur l'Angleterre chrétienne, aussi vide de foi que le siècle qui s'ouvre avec la reine Anne et qui atteignit son apogée ténébreuse sous le second Georges. Les puritains étaient enterrés, et les méthodistes n'étaient pas encore nés. Le monde avait l'air ennuyé et mécontent d'un viveur au lendemain d'une nuit de débauche. Le règne de la bouffonnerie était passé, mais le règne de la foi et du zèle n'avait pas commencé4."

La haute société anglaise n'était pas encore sortie de cette longue orgie où l'avaient plongée Charles II et ses courtisans. La famille royale donnait l'exemple du dérèglement des mœurs, et la noblesse l'imitait. Lord Chesterfield, dans ses lettres à son fils, l'instruisait dans l'art de la séduction comme dans l'une des branches de l'éducation d'un homme bien élevé. Le beau monde de Londres était aussi corrompu que celui de Versailles, mais il l'était avec brutalité et manquait de ce vernis que la politesse de la société française jetait sur ses désordres. "On voyait communément, dit Addison, un homme qui s'était enivré en bonne compagnie, s'en vanter le lendemain devant des femmes, pour lesquelles il affichait le plus grand respect."

Les femmes qui toléraient et encourageaient de tels propos, ne connaissaient, en fait de religion, qu'un culte sans vie, et comme délassement que des romans équivoques et des pièces de théâtre licencieuses. Le théâtre de Wycherley, de Congreve, de Dryden lui-même, jette une triste lumière sur les générations qui l'applaudirent. Ces écrivains portent sur la scène des mœurs grossières, des situations équivoques et des détails obscènes, sans en éprouver le moindre scrupule. La pudeur britannique, si caractéristique aujourd'hui, n'était pas encore née.

La vénalité des hommes politiques est l'un des scandales de l'histoire de l'Angleterre à cette époque. Marlborough, Russell, Bolingbroke, Shrewsbury, Halifax ne se font pas scrupule de servir à la fois deux maîtres, les Stuarts et la maison d'Orange, et de recevoir des deux mains. Robert Walpole, premier ministre pendant vingt ans, se vantait de savoir le prix de chaque conscience et dépensait des sommes énormes pour acheter les voix et pour s'assurer dans le Parlement des majorités imposantes. La passion de l'argent faisait tourner toutes les têtes. Montesquieu, qui visita l'Angleterre à cette époque, pouvait dire: "L'argent est ici souverainement estimé, l'honneur et la vertu peu." "Les Anglais, disait-il encore, ne sont plus dignes de leur liberté. Ils la vendent au roi; et si le roi la leur redonnait, ils la lui vendraient encore5." Il constatait en même temps l'absence de religion: "Point de religion en Angleterre; quatre ou cinq de la Chambre des Communes vont à la messe ou au sermon de la Chambre. Si quelqu'un parle de religion, tout le monde se met à rire. Un homme ayant dit de mon temps: 'Je crois cela comme article de foi', tout le monde se mit à rire6." L'état religieux de l'Angleterre lui paraissait inférieur à celui de la France, qui pourtant était alors sous la Régence. "Je passe en France, disait-il, pour avoir peu de religion, en Angleterre pour en avoir trop7."

D'après l'historien Lecky, "un scepticisme latent et une indifférence générale dominaient partout dans les classes cultivées. L'opinion courante était que le christianisme était faux, mais qu'il fallait le maintenir comme essentiel au peuple. La vieille religion semblait avoir perdu toute prise sur l'esprit des hommes, et souvent elle n'avait pas grande influence, même sur ses défenseurs8". L'incrédulité des classes cultivées de l'Angleterre eut, pendant plus d'un siècle, ses docteurs et ses philosophes, dont les uns voulaient remplacer le christianisme par la religion naturelle, tandis que les autres glissaient plus ou moins vers l'athéisme. Depuis Hobbes, théoricien du pouvoir absolu et sceptique en religion, jusqu'à Bolingbroke, chef incrédule du parti de la haute Eglise et ami de Voltaire, l'Angleterre vit se succéder toute une lignée d'écrivains de valeur inégale, qui attaquèrent sans relâche la révélation chrétienne.

Le christianisme était toutefois défendu par de savants apologistes, tels que les évêques Sherlock, Butler, Warburton, Conybeare, et, parmi les laïcs, Gilbert West et lord Lyttleton, qui réfutaient victorieusement les écrivains incrédules, tandis que le réveil wesleyen leur opposait, sur le terrain pratique, une réfutation encore plus péremptoire9. Il est vrai que, par une sorte de compensation, au moment où l'Angleterre cessait de prêter l'oreille à ses philosophes incrédules, la France leur faisait accueil, et Voltaire et les encyclopédistes allaient chercher des armes contre la Bible dans leurs écrits1O.

Les classes populaires de l'Angleterre au XVIIIème siècle étaient ignorantes, grossières et désordonnées. Les agitations politiques du siècle précédent leur avaient laissé un penchant très vif pour les émeutes. Elles prenaient parti, avec une égale violence, un jour pour les whigs et le lendemain pour les tories, et avaient deux haines toujours vivaces: celles des papistes et celle des dissidents. A l'occasion du procès du docteur Sacheverell, poursuivi pour un sermon contre le gouvernement, il y eut, en 171O, un émeute, et la populace manifesta ses sympathies pour le docteur en brûlant et en saccageant plusieurs chapelles non conformistes. En 1780, autre insurrection aux cris de: A bas les papistes! L'émeute démolit les prisons, mit en liberté les criminels et, pendant trois jours, régna dans la capitale, brûlant, pillant et massacrant. "Les tonneaux de gin défoncés faisaient des ruisseaux dans les rues. Enfants et femmes à genoux y buvaient jusqu'à en mourir. Les uns devenaient furieux, les autres s'affaissaient stupides, et l'incendie des maisons croulantes finissait par les brûler ou les engloutir11." Le couronnement de George 1er fut célébré sur divers points de l'Angleterre par des démonstrations hostiles; ici on buvait à la santé du prétendant, là on brûlait le roi en effigie, ailleurs on pillait quelques chapelles, ailleurs encore on rouait de coups les passants qui refusaient de crier: 'Vive le roi Jacques!" De leur côté, les partisans de la maison de Hanovre brûlaient en effigie le pape et le prétendant, et se battaient avec les jacobites.

"Des mauvais sujets, sous le nom de Mohocks, faisaient la terreur de Londres. La nuit, après avoir bien bu, ils se précipitaient dans les rues, l'épée à la main, renversant et blessant ceux qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage. Parvenaient-ils à mettre la main sur une femme, ils la renfermaient dans un tonneau et l'envoyaient rouler en bas d'une colline. Le soleil couché, on ne pouvait plus se promener dans Londres qu'à condition d'être bien escorté. Echappait-on aux Mohocks, on avait chance de tomber sur des brigands. Du 20 janvier au 10 février 1720, on compte dans les journaux une trentaine d'attaques à main armée, commises à Londres et dans les environs 12."

L'ivrognerie faisait des ravages effrayants dans les basses classes. "Le gin avait été inventé en 1684, et un demi-siècle après, l'Angleterre en consommait sept millions de gallons. Les marchands, sur leurs enseignes, invitaient les gens à venir s'enivrer pour 2 sous; pour 4 sous, on avait de quoi tomber ivre mort; de plus, la paille gratis; le marchand traînait ceux qui tombaient dans un cellier où ils pouvaient cuver leur eau-de-vie. On ne pouvait traverser les rues de Londres sans rencontrer des misérables, inertes, insensibles, gisant sur le pavé, et que la charité des passants pouvait seule empêcher d'être étouffés dans la boue ou écrasés sous les voitures13." Une maisons sur six, dans Londres, servait de cabaret en 1736. Le Parlement essaya vainement d'interdire la vente du genièvre; un commerce clandestin s'organisa dans toutes les parties de l'Angleterre. La populace jeta à la rivière ceux qui dénonçaient ces fraudes, et elle sut, par son attitude menaçante, forcer la Chambre à retirer sa loi.

Les habitants des campagnes, s'ils étaient moins démoralisés, étaient dans un état voisin de la barbarie. Les populations des districts houillers étaient à peu près sauvages. Voués à un labeur peu productif, les mineurs menaient une existence misérable. Les amusements grossiers, les rixes et la fréquentation des cabarets étaient leurs seuls délassements. Partout régnaient l'intempérance et l'immoralité. Plusieurs des superstitions du catholicisme persistaient, deux siècles après la réforme. Dans le pays de Galles, les mœurs conservaient l'empreinte de l'époque druidique. La crédulité populaire continuait à considérer les vieilles maisons comme hantées par des esprits; les sorciers, les diseurs de bonne aventure, les charlatans de toute espèce pratiquaient au grand jour leurs industries lucratives. Il va sans dire que peu de personnes savaient lire et écrire. Il n'existait, en 1715, dans tout le royaume, que 1 193 écoles primaire, avec 26 920 élèves. Ajoutons, pour être justes, que les populations rurales de toute l'Europe n'étaient pas plus avancées à cette époque.

C'est ce peuple, abaissé jusqu'à l'abrutissement dans les basses classes, corrompu jusqu'au cynisme dans les classes élevées, que le Méthodisme allait tenter de réformer. Le pays semblait arrivé à cette limite extrême de la dégradation, où une nation n'a plus qu'à disparaître, à moins qu'elle ne consente à renaître à une vie nouvelle. L'état moral que nous venons de décrire ne justifie que trop l'assertion d'Isaac Taylor que l'Angleterre était tombée, lorsque Wesley parut, dans un véritable paganisme14.

Que faisait la partie saine de la nation pour porter remède à de si grandes misères? La littérature de l'époque fut généralement complice des défaillances morales de la nation. Une réaction intéressante se produisit toutefois dans ce domaine, et quelques hommes de talent, Steele, Addison, Berkeley, Johnson, tentèrent d'opposer une digue au débordement des mauvaises mœurs. Dans des écrits périodiques d'une forme vive et satirique, ils attaquèrent les travers et les vices de leur époque, avec une franchise qui les honore. Ces pamphlets firent une œuvre excellente, mais superficielle; en rendant le vice ridicule, ils l'obligèrent à la pudeur, mais ils ne le corrigèrent pas.

Pendant les dernières années du XVIIème siècle, quelques membres influents de l'Eglise anglicane fondèrent une Société pour la réforme des mœurs. La reine accorda son patronage à cette association et ordonna que les lois anciennes pour la suppression des vices scandaleux fussent remises en vigueur. La Société fit fermer à Londres des centaines de lieux de débauche et condamner à l'amende, à la prison ou à la flagellation un grand nombre de joueurs, de blasphémateurs, d'ivrognes et de débauchés. Mais la répression n'atteignait guère que les coupables vulgaires et épargnait en général les coupables de haute volée, semblable, selon la comparaison de De Foe, aux toiles d'araignée qui prennent les petites mouches et laissent échapper les grosses. Toutefois, c'était un heureux indice que ce réveil de la conscience publique, protestant contre l'abaissement des mœurs 15.

Une œuvre étroitement associée à celle-là, et qui la précéda de quelques années, fut l'organisation des sociétés religieuses, fondées par trois pasteurs pieux de l'Eglise anglicane, Horneck, Smithies et Beveridge. Un bon nombre de jeunes gens s'étant convertis par leur moyen, ils leur conseillèrent "de se réunir une fois par semaine et de s'adonner à de bons entretiens, de façon à s'édifier les uns les autres". C'est ce qu'ils firent et, de plus, ils se cotisèrent pour accomplir en commun quelques œuvres de charité. Ils visitaient les malades et les prisonniers, et s'occupaient des enfants; on assure que, par leurs efforts persévérants, une centaine d'écoles furent fondées dans Londres et dans sa banlieue. Pendant quelque temps, ces associations formèrent des foyers assez intenses de vie religieuse, bien que leur action au dehors se renfermât dans des bornes étroites. Elles auraient pu peut-être avancer d'un demi-siècle le réveil religieux de l'Angleterre, si elles avaient eu un caractère plus entreprenant. Par malheur, elles s'interdisaient presque complètement l'évangélisation proprement dite, de crainte d'empiéter sur les droits du clergé. Wesley les trouva à peu près dissoutes, mais ils s'empara de l'idée féconde de Horneck et de ses amis pour lui faire porter tous ses fruits.

Le clergé anglican fit peu de chose pour encourager ce mouvement. Sa situation sociale s'était notablement relevée, et l'appât de riches bénéfices attirait à lui les fils de bonnes familles. Mais sa condition religieuse était en général médiocre. Il avait pris une part active aux dissensions politiques qui avaient suivi la révolution, et bien des pamphlets virulents étaient sortis de ces cures d'où l'on eût attendu des paroles de paix. La littérature légère comptait de nombreux représentants dans le monde clérical, dont les plus illustres furent Swift et Sterne. L'absence de sérieux et la mondanité étaient les défauts ordinaires des ministres, et les paroisses étaient trop heureuses s'il ne s'y joignait pas l'intempérance et les mauvaises mœurs. Voltaire, qui trouvait que, comparé à un abbé parisien, "un théologien anglican était un Caton16", disait ailleurs: "Les prêtres anglicans vont quelquefois au cabaret, parce que l'usage le leur permet, et s'ils s'enivrent, c'est sérieusement et sans scandale17." Tel s'excusait auprès de son évêque, qui lui reprochait de s'enivrer quelquefois, en alléguant qu'il ne le faisait jamais au moment où il devait exercer ses fonctions 18.

Il y avait sans doute çà et là des pasteurs pieux et dévoués, mais la plupart s'en tenaient à l'accomplissement mécanique de leurs fonctions ecclésiastiques. Ceux-là même qui gémissaient en silence sur les maux de l'Eglise étaient trop timides pour prendre l'initiative d'une réforme, et la plupart hésitèrent même à s'associer au réveil commencé par Wesley et ses amis. La science et le talent ne manquaient pas sans doute au clergé anglican du XVIIIème siècle, qui comptait dans ses rangs des théologiens tels que William Sherlock, Daniel Waterland, l'évêque Butler et le doyen Prideaux. Ce qui lui manquait, c'était l'intelligence des besoins religieux du peuple; c'était surtout la foi vivante qui ébranle les âmes.

Cette décadence de l'Eglise établie frappait depuis longtemps les esprits sérieux et leur causait de vives inquiétudes. Le pieux archevêque Leighton disait que "l'Eglise n'était plus qu'un squelette sans âme". On a souvent cité les éloquentes lamentations de l'évêque Burnet: "Je suis dans ma soixante-dixième année, s'écrie-til, et, avant de mourir, je veux parler en toute franchise. C'est avec la plus vive souffrance que j'entrevois la ruine imminente de l'Eglise." Il parle ensuite de l'ignorance du clergé, de la légèreté avec laquelle il met de côté l'Ecriture, et de sa tendance générale à se jeter dans les partis politiques et à négliger la cure d'âmes.

Les non-conformistes avaient été préservés d'une décadence aussi profonde par la sève de piété qu'ils avaient conservée. Ce n'étaient pas des Eglises mortes que celles qui comptaient dans leur sein des théologiens tels qu'Isaac Watts, Nathanaël Lardner, Philippe Doddridge, Matthieu Henry, et des prédicateurs tels que Edmund Calamy, James Foster et Samuel Chandler. Malheureusement, les préoccupations de la lutte, souvent politique, contre l'Eglise anglicane, ajoutées à d'interminables querelles intérieures, réussirent trop à faire négliger à ces Eglises le travail de l'évangélisation. "Un esprit d'indifférence à l'égard des masses populaires, dit le docteur Stoughton, infectait ces Eglises, même les plus respectables 19."

L'état moral et religieux de la Grande-Bretagne nécessitait une seconde réforme. Quelques hommes clairvoyants avaient le pressentiment qu'elle se préparait. Voltaire, lui, ne s'en doutait pas et disait: "On est si tiède à présent sur tout cela, qu'il n'y a plus guère de fortune à faire pour une religion nouvelle ou renouvelée2O." Les événements s'apprêtaient à lui donner un éclatant démenti; car, au moment même où, parcourant l'Angleterre, il annonçait le déclin du christianisme et présidait son impuissance définitive, quelques étudiants pieux, parmi lesquels était Wesley, organisaient à Oxford une association qui allait être le berceau, sinon d'une "religion nouvelle", au moins d'une "religion renouvelée".

Remarquable coïncidence! ces deux hommes qui devaient agir sur le siècle plus qu'aucun de leurs contemporains, foulaient au même moment le sol de l'Angleterre21, et, dans le spectacle de cette grande nation rongée par le scepticisme et par le matérialisme, puisaient des résolutions opposées. L'un, prenant la licence des esprits pour une liberté enviable, se promettait d'importer en France les principes et les méthodes de l'incrédulité anglaise; l'autre, au contraire, douloureusement ému des misères de sa patrie, voulait travailler à son relèvement par l'Evangile. Ceux qui virent passer alors dans la société anglaise le jeune exilé parisien à la verve mordante et le jeune étudiant d'Oxford au maintien grave, ne se doutèrent pas qu'ils avaient devant eux deux hommes qui allaient ébranler leur siècle, quoique en sens inverse, et dont l'œuvre si opposée devait avoir un retentissement universel.

Pour ceux qui jugent, sans passion et avec impartialité l'œuvre de Voltaire et celle de Wesley, tout en admirant le génie du premier et les services rendus par lui à la civilisation, ils ne sauraient hésiter à mettre le réformateur religieux au-dessus du philosophe. L'un a voulu détruire le christianisme et l'autre a voulu le régénérer. Et tandis que chaque jour révèle la stérilité de l'œuvre de Voltaire, chaque jour aussi montre la fécondité de celle de Wesley.

* * *

INTRODUCTION (2ème Partie)

ÉTAT RELIGIEUX DES PAYS PROTESTANTS

Le Méthodisme fut une seconde réformation. Si son œuvre parut d'abord limitée à l'Angleterre et à ses colonies, elle était destinée à influencer directement ou indirectement l'état moral et religieux des autres races. Par suite de son extension aux Etats-Unis et dans les missions, il est devenu, au commencement du vingtième siècle, le plus considérable des groupements du Protestantisme mondial, et son influence sur les Eglises de types divers n'est contestée par aucun historien impartial.

Le plan de cet ouvrage ne comporte pas une étude détaillée sur l'état religieux des pays protestants au moment où éclata le Réveil méthodiste. Un rapide coup d'œil nous suffira. La Réforme du XVIème siècle ne fut que dans une faible mesure un réveil des consciences. Elle le fut assurément pour Luther, Calvin et les autres réformateurs, comme aussi pour beaucoup d'âmes d'élite que l'étude de la Bible amena au sentiment du péché et à la joyeuse certitude du salut saisi par la foi. Mais le plus souvent, les conversions étaient collectives et non individuelles. On se convertissait en masse, un village, une ville, une province, un Etat, souvent par l'ordre du pouvoir civil. De telles conversions, comme nous l'avons vu pour l'Angleterre, manquant de profondeur, manquaient souvent de durée. La question que posaient aux nouveaux apôtres les âmes ébranlées par les souffles nouveaux n'était pas toujours celle de la première Pentecôte: Que ferons-nous pour être sauvés? Mais plutôt: Que ferons-nous pour échapper au joug du pape et de ses prêtres?

Une deuxième cause de la décadence religieuse de la Réforme, ce fut son intellectualisme, c'est-à-dire la prédominance excessive qu'elle donna de bonne heure à la croyance sur la foi et à l'orthodoxie sur la vie. A la période créatrice succéda bientôt un âge de controverses arides. On discuta avec âpreté sur les doctrines de la justification par la foi, de la prédestination et de la Cène, non seulement entre catholiques et protestants, mais entre luthériens et calvinistes, et dans l'enceinte de chacune de ces familles de la Réforme.

Une troisième cause, et non la moindre, de l'affaiblissement rapide des Eglises nées de la Réforme, ce fut leur asservissement à l'Etat. Les réformateurs ne comprirent pas que l'Etat et l'Eglise appartiennent à deux domaines différents, le domaine temporel et le domaine spirituel, et que, par conséquent, la confusion des deux pouvoirs ne peut qu'être préjudiciable à l'un et à l'autre. Au lieu de prendre pour règle la parole du Christ: "Mon royaume n'est pas de ce monde", ils essayèrent de modeler la société civile sur le type de la théocratie israélite, et ils ne distinguèrent pas entre le citoyen qui devient membre de la cité par la naissance et le chrétien qui devient membre de l'Eglise par la nouvelle naissance. Cette absence d'une juste notion de l'Eglise et cette confusion du temporel et du spirituel produisirent les fruits les plus amers. Si les réformateurs espérèrent fonder des Etats chrétiens, au sein desquels l'Eglise, représentée par ses pasteurs, exercerait une sorte de primauté, leur illusion ne fut pas de longue durée. Partout l'Etat, qu'il fût monarchique ou républicain, voulut être le maître, et, comme il avait de son côté la force et l'argent, il réussit à se faire obéir. Le siècle qui avait vu éclater ce grand mouvement émancipateur des âmes n'était pas achevé que l'Eglise était partout asservie. La faveur de l'Etat, sollicitée ou subie par le protestantisme, lui fut partout funeste. L'Eglise cessa d'être conquérante et s'endormit au bruit des querelles théologiques et dans un monotone formalisme.

****

Jetons un coup d'œil rapide sur l'état religieux des principaux Etats de l'Europe, en laissant de côté l'Angleterre, dont nous nous sommes déjà occupés.

En Allemagne, où le mouvement réformateur fut inauguré par la vaillante et pieuse initiative de Luther, le protestantisme souffrit, de son vivant et toujours depuis lors, à la fois de l'ingérence des pouvoirs politiques et d'interminables controverses théologiques. "Le luthéranisme allemand, dit le pieux historien F. Bonifas, en vint à renier les deux principes fondamentaux du protestantisme. On continue à arborer comme drapeau la justification par la foi, et par la foi seule fide sola. Mais on méconnaît le vrai caractère de la foi. Ce n'est plus un acte moral d'humilité et de confiance, l'acceptation du don de Dieu et le don de soi-même en retour. C'est une froide adhésion à des formules dogmatiques; c'est une orthodoxie intellectuelle et stérile. Il en est de même du principe formel de la Réformation: l'autorité souveraine des Ecritures. On le proclame, on l'inscrit solennellement dans les symboles ecclésiastiques, mais on le méconnaît et on le renie dans la pratique. L'autorité religieuse appartient de fait, non aux Ecritures, mais aux symboles officiels de l'Eglise. On place les symboles luthériens la Confession d'Augsbourg, les articles de Smalkalde, la formule de Concorde, sur le même rang que la Bible. Ce sont ces symboles qui décident de la véritable interprétation des Ecritures, et il est interdit de les entendre dans un autre sens que celui que leur attribue l'Eglise. Ici encore, le protestantisme a abjuré son principe fondamental, pour retourner au principe catholique22."

Ce caractère superficiel du protestantisme allemand explique sa stérilité religieuse et morale. Il a formé des savants, des théologiens, des érudits; mais son action religieuse a été faible. Ses grandes aptitudes intellectuelles auraient pu faire de lui l'un des plus éminents bienfaiteurs de la race humaine, s'il fût demeuré le peuple de Luther. L'ambition politique et militaire l'a perdu; il est devenu le peuple de Frédéric Il et de Bismarck et a déchaîné sur le monde des malheurs qui n'ont pas encore produit tous leurs fruits empoisonnés.

La décadence fut moins profonde dans les Eglises du type calviniste. Toutefois, elles ont souffert, elles aussi, des mêmes causes qui affaiblirent la réforme de Luther. Ce fut surtout dans les Pays-Bas que se produisit la controverse sur la doctrine de la prédestination, qui donna naissance à l'Arminianisme, type doctrinal qui exerça une influence notable sur les vues de John Wesley et du Méthodisme. Il convient donc de nous y arrêter.

Jacques Arminius (forme latine du nom Harmensen), nommé en 1603 professeur à l'Université de Leyde, y enseignait à ses élèves que la grâce de Dieu est offerte à tous les hommes, qui sont libres de !'accepter ou de la rejeter. Son collègue, Gomar, fougueux calviniste, lui fit une guerre acharnée. Leurs discussions furent portées devant les synodes et jusque devant les Etats de Hollande, et passionnèrent vivement les esprits. Ces tracasseries achevèrent d'altérer la santé d'Arminius, déjà épuisée par ses grands travaux. Il mourut en 1609, laissant après lui le souvenir d'un homme aussi pieux que savant. Ses disciples, à la tête desquels se distinguèrent son successeur Episcopius et le célèbre professeur Grotius, continuèrent à propager ses vues. Les Arminiens, comme on appela désormais les adversaires de la prédestination absolue, présentèrent en 1610 aux Etats de Hollande, une Remontrance où ils exposaient, en cinq articles, leur doctrine sur les points controversés:

Le premier affirme que Dieu a décidé de toute éternité, de sauver ceux qui croiraient en Jésus-Christ et persévéreraient dans cette foi, et d'abandonner au péché et à la condamnation ceux qui refusent de croire. Le 2° Jésus-Christ est mort pour tous les hommes et a acquis à tous la réconciliation et la rémission des péchés; toutefois ceux-là seulement sont mis en possession de ces grâces, qui croient en Jésus. Le 3° Aucun homme n'a de lui-même la foi qui sauve, puisque dans son état de chute, il ne peut penser ou faire rien de bon; mais le Saint-Esprit produit en lui tout ce qui est bon. Le 4° Si tout ce qui est bon en nous est l'œuvre de la grâce, cette grâce n'est cependant pas irrésistible. Le 5° L'homme peut déchoir de la grâce, s'il ne persévère pas dans son union avec Christ par la foi.

Le prince d'Orange, Maurice de Nassau, après avoir long temps refusé de prendre parti dans cette querelle théologique, fut conduit, dans l'intérêt de sa politique, à favoriser le calvinisme et à combattre l'arminianisme. Il convoqua un synode national, à Dordrecht, en 1618, composé presque exclusivement de calvinistes, et devant lequel les "Remontrants" furent cités comme accusés. "La partialité la plus outrée ne cessa de régner dans les délibérations du synode. On ne fit aucune attention aux représentations des Arminiens contre l'autorité judiciaire que s'attribuait une assemblée toute composée de leurs adversaires. On leur permit d'exposer leur doctrine, mais en enjoignant de s'abstenir de toute attaque contre la doctrine de Calvin. Enfin ils furent chassés de l'assemblée comme menteurs et imposteurs, avec une dureté qui révolta plusieurs des députés étrangers, entre autres celui de Brême, qui s'écriait encore à la fin de sa vie: "Ô Dordrecht, Dordrecht! plût à Dieu que je ne t'eusse jamais vue!" En même temps qu'on les chassait de l'assemblée, il leur fut défendu de quitter la ville sans permission. Sur les quinze ministres qui avaient représenté au synode le parti remontrant, quatorze, ayant refusé de se taire sur leurs convictions, furent exilés. Deux cents ministres et maîtres d'écoles furent déposés de leurs fonctions. Trois arminiens distingués, Barnevelt, Grotius et Hoogebets, dont Maurice redoutait l'opposition à ses desseins, avaient été emprisonnés avant le synode. Pour sanctionner les décrets de cette assemblée, le premier fut condamné à avoir la tête tranchée, et les deux autres à la prison perpétuelle. L'illustre Barnevelt mourut en héros et en chrétien23.

Ces fameux canons du synode de Dordrecht, au nom desquels on persécutait les Arminiens, formulèrent le dogme de la prédestination absolue en cinq chapitres destinés à réfuter les cinq articles des Remontrants. Le premier article du Synode dit que le décret de Dieu est absolu et non conditionnel et n'a d'autre fondement que Son bon plaisir. Le second affirme que Christ n'est mort que pour les seuls élus. D'après le troisième et le quatrième, la grâce est irrésistible, et, d'après le cinquième, elle ne peut pas se perdre.

Les décisions de Dordrecht furent acceptées dans la plupart des Eglises réformées, en France, où le synode d'Alais décida que tous les pasteurs seraient tenus de prêter le serment, de ne s'en écarter en rien; en Suisse, où la Formule de consensus affirma le calvinisme le plus rigide. L'Eglise anglicane fit exception. Le roi Jacques 1er, qui avait envoyé des députés à Dordrecht, prit parti toutefois contre les décrets du Synode, en défendant aux prédicateurs anglicans de parler de la prédestination dans leurs sermons. Les puritains, indépendants et presbytériens, étant strictement calvinistes, l'Eglise anglicane en vint, par une réaction naturelle, à se prononcer dans le sens arminien.

Dans les Pays-Bas, où l'arminianisme était né, il fut longtemps persécuté par le calvinisme triomphant; il s'en sépara toujours plus et glissa peu à peu vers le latitudinarisme théologique. Mais les erreurs des successeurs d'Arminius ne sont pas plus imputables à Arminius lui-même que le rationalisme allemand ou genevois n'est imputable à Luther et à Calvin.

En acceptant d'être appelé Arminien, bien que ce terme fût de son temps un terme de mépris, Wesley n'entendait pas épouser toutes les vues, souvent aventureuses, des disciples d'Arminius, mais seulement affirmer qu'il était d'accord avec lui en repoussant la doctrine de la prédestination absolue, doctrine inconnue aux premiers siècles de l'Eglise et que Calvin avait empruntée à saint Augustin.

La décadence fut moins profonde dans les Eglises protestantes de France qu'ailleurs. L'épreuve de la persécution y fut comme un sel purificateur qui conserva, quelque temps, la spiritualité de l'Eglise. Toutefois, les mêmes causes y produisirent à la longue les mêmes effets. Le calvinisme, qui brûla Servet à Genève, se borna à imposer silence à ceux qui, comme Moïse Amyraut et les théologiens de Saumur, tentèrent d'élargir l'enseignement de Calvin. Aux approches de la Révocation de l'Édit de Nantes, les témoignages abondent sur l'état de déclin religieux où étaient tombés les protestants. Nous avons cité ailleurs les plaintes de Jean Claude, pasteur à Charenton, David Ancillon, pasteur à Metz, Michel Le Faucheur, pasteur à Montpellier, Du Bosc, pasteur à Caen, et celles de Claude Brousson, qui travailla avec le plus grand zèle à sauver les débris du naufrage de la Révocation24. La démolition des temples, la suppression du culte, les Dragonnades, les violences de toutes sortes qui précédèrent et suivirent l'Edit révocatoire, semblèrent avoir amené la ruine complète du protestantisme français. Sous la pression des missions militaires, plus encore que des missions religieuses, l'œuvre des conversions, dès longtemps commencée, se poursuivit avec un succès presque foudroyant. Les auteurs protestants parlent d'un million au moins d'abjurations25. La plupart sans doute furent plus apparentes que sincères. Obtenues par la violence ou la corruption, elles eurent une influence déplorable sur les persécutés, en les engageant dans une voie de mensonge et d'hypocrisie. L'Eglise romaine, en contraignant à faire acte de catholicisme des malheureux qui avaient la messe en horreur, en fit souvent des incrédules ou des hypocrites.

La présence de pasteurs fidèles, bravant tous les dangers, eût pu sauver le protestantisme d'un complet naufrage. Mais l'Édit de révocation leur donnait quinze jours pour choisir entre l'exil et l'apostasie. Les meilleurs passèrent à l'étranger, entraînant avec eux une partie de leurs troupeaux. Les autres, les faibles, les lâches, les âmes vénales, firent leur soumission et acceptèrent les pensions de la Cour et du Clergé. On a publié, de nos jours, les procès-verbaux des assemblées quinquennales du clergé, dont la grande occupation consistait à accorder des subsides et des pensions aux pasteurs apostats. Cette œuvre de corruption commença dès l'année de l'Édit de Nantes (1598) et se renforça aux approches de la Révocation. Trois cents pasteurs ou proposants émargèrent à cette caisse, une centaine avant l'Édit révocatoire et deux cents depuis26. Il y eut sans doute des imposteurs qui, en se faisant passer pour des ministres convertis, participèrent aux libéralités du clergé; mais, toute défalcation faite, le chiffre des pasteurs apostats demeure effrayant et révèle un état de décomposition morale et religieuse qu'il serait vain de pallier.

Il ne faut pas voir tout le protestantisme français dans ces masses d'apostats. Il y eut d'incomparables témoignages de fidélité dans les prisons, sur les galères, dans les assemblées du Désert; il y eut de fidèles prédicants et de nombreux martyrs; il y eut des jeunes gens et des jeunes filles que visita l'esprit de prophétie; il y eut un Claude Brousson, mort sur la potence, après un court et héroïque ministère. Et puis, il y eut la Restauration, à partir de 1715, avec Antoine Court et Corteiz; il y eut le pieux Paul Rabaut, qui releva l'Eglise de Nîmes et dont les lettres sont d'un précurseur du Réveil, qu'il demanda à Dieu.

Aux approches de la Révolution, le protestantisme français eut une seconde éclipse. La plupart des pasteurs déposèrent leur robe et se jetèrent dans la politique ou dans le commerce. Les temples qui avaient été relevés se fermèrent, et le culte fut suspendu. On eût dit une seconde révocation.

Il fallait un réveil. D'où viendrait-il? D'Angleterre ou de Genève? Des Moraves ou des Méthodistes?

***

Le Méthodisme ne fut ni la première, ni la seule tentative de réforme dans la Réforme. Nous avons parlé du Puritanisme anglais, dont Wesley subit l'influence, tout au moins par atavisme. Mais il convient de mentionner les deux mouvements qui eurent leur siège principal en Allemagne et qui exercèrent une action assez considérable sur les commencements des sociétés méthodistes.

Le Piétisme fut une réaction bienfaisante contre l'orthodoxie morte du luthéranisme. Son fondateur fut Philippe-Jacques Spener. Né en 1635, en Alsace, il se voua au ministère évangélique. Devenu pasteur à Francfort en 1666, il lutta contre le formalisme en organisant de petites assemblées d'édification mutuelle, qu'il appelait des collegia pietatis, où les personnes réveillées par son ministère, trouvaient la communion spirituelle dont elles avaient besoin. En 1675, Spener publia, sous le titre de Pia Desideria, un manifeste où il dévoilait les plaies de l'Église luthérienne et exposait les remèdes au mal: diffusion des connaissances bibliques, rétablissement du sacerdoce universel, création d'assemblées d'édification mutuelle, réforme des études théologiques et de la prédication. Appelé à Dresde en 1686 et à Berlin en 1691, il continua dans ces deux centres l'œuvre de réforme commencée à Francfort. Il groupa autour de lui de nombreux disciples, mais il eut à lutter contre l'opposition de tous ceux qui préféraient le formalisme et la mondanité à la piété. Il mourut en 1705, laissant après lui le souvenir d'un homme de prière et de vie intérieure. "Sa noble figure, a dit M. Chaponnière, occupera toujours une place d'honneur dans la galerie des saints de l'Église protestante27."

Le Piétisme ne mourut pas avec Spener. Ses disciples, parmi lesquels le plus connu est A.-H. Francke, fondateur d'admirables orphelinats, continuèrent son œuvre. La Faculté de théologie de Halle, dans laquelle Francke enseignait, devint un foyer de réveil. Celle de Wittemberg suivit son exemple. Les princes et les hommes d'Etat se mirent à protéger le piétisme, dont l'influence se répandit sur toute l'Allemagne et même au delà de ses limites, notamment en Suisse. Les pasteurs et les Églises reprirent vie, et l'Allemagne connut, en plein dix-huitième siècle, une vie religieuse qu'elle n'avait jamais eue, même au siècle de la réformation. Peu à peu, cependant, ce beau mouvement s'affaiblit et se perdit dans un vague sentimentalisme et dans un étroit légalisme. Il ne sut pas organiser fortement ceux qu'il avait réveillés et resta vis-à-vis des Églises nationales dans une sujétion qui fit sa faiblesse: Il se montra impuissant pour résister au flot montant du rationalisme, qui, vers la fin du dix-huitième siècle, parut avoir tout submergé. Ce ne fut guère que dans le Wurtemberg que le réveil se maintint avec des chefs comme Bengel et Œtinger. Les conventicules piétistes de ce pays comptent encore de nos jours un grand nombre d'habitués.

Le Moravianisme, ou Eglise des Frères Moraves, sauva du naufrage les meilleurs éléments du Piétisme. Les Moraves se rattachaient aux Eglises fondées, un siècle avant la Réforme, par Jean Huss et ses amis, dans la Bohême et la Moravie, et qui portaient le nom d'Unité des Frères. Ces Églises étaient au nombre de trois à quatre cents au commencement du seizième siècle, malgré les persécutions qu'elles avaient subies. Elles se rattachèrent, après quelques hésitations, à la Réformation, et subirent l'influence du luthéranisme et du calvinisme. Elles conservèrent quelque temps leur individualité, mais finirent par se fusionner avec les réformés ou par se disperser sous l'action des persécutions. L'Unité des frères moraves paraissait détruite; mais il était dans les desseins de la Providence de ressusciter cette Église, qui représentait un élément de vie spirituelle et de pieuse mysticité trop étranger aux grandes Eglises issues de la Réforme. Le dernier évêque de l'ancienne Eglise des Frères, Amos Comenius, mort en 1671, sauva l'avenir de son Eglise par ses écrits, par son activité, et aussi en continuant la succession épiscopale par l'ordination de Jablonski, lequel transmit l'épiscopat à son fils, de qui il passa sur Zinzendorf, le rénovateur de l'Unité des Frères Moraves. C'est un phénomène unique dans l'histoire de l'Eglise que celui de cette communauté, renaissant, après un siècle environ de disparition, comme ces fleuves qui disparaissent sous les sables pour reparaître plus loin à la lumière.

Nicolas-Louis, comte de Zinzendorf, naquit à Dresde en 1700. Il eut pour parrain Spener, le père du Piétisme; mais ce qu'il vit de ce mouvement au collège de Halle, l'en éloigna d'abord. Les piétistes attachaient une grande importance à ce qu'ils appelaient "le combat de la repentance", tandis que Zinzendorf se sentait attiré par l'amour du Christ. Il résolut de consacrer sa vie au Sauveur. Il entra en rapport, en 1722, avec un artisan chrétien, Christian David, qui avait été le moyen d'un réveil parmi quelques descendants des Frères de Moravie, et qui l'intéressa à ses frères persécutés. Le jeune comte comprit qu'il y avait là un appel de Dieu, et il offrit sur ses terres un refuge à ces débris d'une vieille Église. Sous la direction de Christian David, divers convois d'émigrés acceptèrent cette invitation et fondèrent, le 17 juin 1722, la ville de Herrnhut, dont le nom signifie: la garde du Seigneur. C'était à la 'fois une commune civile et une communauté religieuse. Zinzendorf en fut nommé le directeur, et plus, tard, l'évêque. Il n'exerçait ses pouvoirs qu'avec l'aide d'un corps d'anciens. "La paroisse fut groupée par bandes, composées de personnes du même sexe et assorties d'après la nature et le degré de leur développement spirituel; ces associations n'étaient pas perpétuelles, pour qu'il ne s'y glissât pas d'esprit de coterie. Une autre institution, qui date de plus tard, fut celle des chœurs, où l'on était groupé, selon son état civil. Il y eut le chœur des hommes mariés, des célibataires, des petits garçons, des enfants; puis ceux des veuves, des femmes mariées, des vierges, des petites filles et des enfants du même sexe. Chaque chœur avait ses réunions d'édification particulière, des cantiques et des jours de fête qui lui étaient propres. On institua aussi des prières de toutes les heures, prières qui se continuaient nuit et jour, et pour lesquelles on se relayait d'heure en heure. La Sainte Cène était distribuée chaque mois; on eut des agapes28." Cette communauté, unie par un lien très fort de fraternité, reproduisait, au cœur de l'Allemagne, l'Eglise primitive de Jérusalem. Wesley, qui la visita en 1738, disait d'elle: "J'ai trouvé une Eglise qui possède l'esprit qui était en Christ et qui marche comme Il a marché Lui-même. Tous ses membres ont un même Seigneur et une même foi, et ils participent au même Esprit de douceur et d'amour, qui anime uniformément toute leur conduite."

La communauté morave se distingua par sa charité. Au point de vue de la foi, elle insista surtout sur la divinité du Christ et le salut par son sang; mais elle laissa subsister d'assez grandes divergences entre ses membres. Sa tâche spéciale fut d'inaugurer "l'ère philadelphique" dans l'Église. Au moment où le rationalisme et l'incrédulité régnaient presque partout en Allemagne, l'Église des Frères devint le refuge des âmes croyantes. Mais son action s'étendit bien au delà de ce pays, en Angleterre, où elle fonda des communautés et où elle eut une part importante dans l'éclosion du Méthodisme; en Amérique, où les Moraves fondèrent des foyers de vie et d'évangélisation dans les colonies anglaises; en France même, où ils furent les précurseurs du réveil. Leurs missions parmi les païens, surtout au Groenland et au Labrador, ont eu l'honneur d'ouvrir la voie aux grandes sociétés missionnaires du christianisme moderne29.

NOTES INTRODUCTION

 

  1. MACAULAY, History of England, 1849, t, l, p. 50. Traduction de Montégut, 1886, t. l, p. 56.
  2. Life of Wesley, édition de 1858, t. l, p. 195.
  3. History of England, t. l, p. 330. Trad. de Montégut, t. l, p. 361. North British Review, 1847.
  4. Montesquieu, Notes sur l'Angleterre, Œuvres, édit. Lahure, t. Il, pp. 472-473.
  5. Ibid., tome Il, p. 476.
  6. Ibid., tome Il, p. 461.
  7. LECKY, History of England in the Eighteenth Century, t. Il, p. 529.
  8. Voir sur les incrédules anglais du XVIIIème siècle le bel ouvrage du professeur Edouard Sayous, Les Déistes anglais et le christianisme, principalement depuis Toland jusqu'à Chubb, Paris, 1882.
  9. Voyez aussi Auguste Léger, La jeunesse de Wesley, pp. 130-138.
  10. On conserve au British Museum une lettre autographe de Voltaire, datée des Délices, 16 janvier 1760, où il se déclare le disciple des philosophes anglais. Cette lettre, adressée à George Keate, est en anglais. En voici quelques lignes: "I am confident nobody in the world looks with a greater veneration on your good philosophers, on the crowd of your good authors, and 1 am these thirty years the disciple of your way of thinking." En voici la traduction: "J'ose dire que personne au monde ne considère avec plus de vénération que moi vos bons philosophes et la multitude de vos bons auteurs, et je suis, depuis trente ans, le disciple de votre manière de penser."
  11. TAINE, Histoire de la littérature anglaise, t. III, p. 287
  12. Cornélis de Witt, La Société française et la Société anglaise au XVIIIèma siècle, p. 190.
  13. TAINE, Histoire de la littérature anglaise, t. III, p. 256.
  14. Isaac TAYLOR, Wesley and Methodism. Cité par STEVENS, History of Methodism, édit. de New York, 1858, t. l, p. 30.
  15. La Société pour la réforme des mœurs fournit une carrière d'une quarantaine d'années; lorsque le Méthodisme parut, elle n'existait plus guère qu'à l'état de souvenir. Le mouvement méthodiste paraît avoir contribué à la ressusciter. John Wesley prêcha devant elle en 1763, comme son père l'avait fait en 1698; mais il eut la douleur, en 1766, d'être témoin de sa dissolution définitive.
  16. Œuvres de Voltaire, édit. Renouard, t. XXIV, p. 27.
  17. VOLTAIRE, Lettres anglaises, t. XXIV, p. 25.
  18. STOUGHTON, Religion in England under Queen Anne and the Georges, t. l, chap. 4 Southey, Life of Wesley, t. l, p. 201. Religion in England, tome l, chap. 7.
  19. VOL TAIRE, Lettres anglaises, t. XXIV, p. 32.
  20. Le séjour que Voltaire fit en Angleterre commença en 1726 et dura trois ans; il coïncide exactement avec les débuts du mouvement méthodiste à Oxford.
  21. F. BONIFAS, Histoire des Dogmes, t. Il, pp. 487-488.
  22. CHASTEL, Histoire du christianisme, t. IV, p. 368.
  23. Matthieu LELIÈVRE, De la Révocation à la Révolution.
  24. Voyez l'introduction (pp. 1-22), sur l'Etat moral et religieux du Protestantisme français.
  25. Gaultier de SAINT-BLANCARD, Théodore de BERINGHEN, Comte de MISSY.
  26. Voyez le chapitre Les pasteurs apostats, pp. 61-116 de mon ouvrage De la Révocation à la Révolution.
  27. Voyez aussi l'étude sur la Caisse du clergé de France et les Protestants convertis, de M. A. CANS, dans le Bulletin de l'histoire du Protestantisme français, 1902, pp. 225-243. Voyez surtout la page 240 pour les chiffres ci-dessus.
  28. Encyclopédie des sciences et de la religion, article "Spener". Encyclopédie Lichtenberger, article "Zinzendorf".
  29. La biographie du Comte de Zinzendorf, par Félix BOVET, 2 vol., 2éme édit., Paris, 1865, demeure une des biographies les plus remarquables qui existent.

LES EFFETS DU REVEIL METHODISTE

Les résultats directs du Méthodisme, si remarquables soient-ils, ne sont pas les seuls, et il nous reste à rappeler ce que la civilisation générale et l'état moral de la race anglo-saxonne doivent à son influence.

Tous les historiens s'accordent aujourd'hui à reconnaître que le XVIIIème siècle, qui fut, à tant d'égards, une époque de dissolution pour l'Europe continentale, fut, au contraire, pour la Grande-Bretagne, le moment de l'une de ces crises bienfaisantes qui régénèrent un peuple et ouvrent devant lui une ère nouvelle. Tandis que partout ailleurs les convictions baissaient et que les mœurs se dégradaient au souffle du scepticisme, ce peuple-là, dans son île solitaire, rebâtissait pierre à pierre l'édifice peu solide jusqu'alors de ses convictions et celui, moins solide encore de ses mœurs.

Cette régénération de l'Angleterre fut surtout l'œuvre du Méthodisme, et l'histoire impartiale s'empresse de le reconnaître. Si Priestley affirme déjà que "le Méthodisme a non seulement christianisé, mais civilisé cette partie de la nation qui échappait à l'attention du clergé trop soucieux de sa dignité", Macaulay se moque de "ces prétendus historiens de l'Angleterre sous Georges II, qui passent sous silence l'apparition du Méthodisme". Les historiens anglais les plus récents ne tombent plus dans ce travers. Lecky consacre plus de cent vingt pages de sa grande Histoire de l'Angleterre au XVIIIème siècle à étudier ce mouvement religieux, et il affirme que "l'influence de Pitt en politique et celle de Wesley en religion furent les plus importants facteurs du relèvement moral continu qui se produisit dans la nation à partir du milieu du siècle". J.-B. Green, dans son Histoire du peuple anglais, constate le même fait et attribue au Méthodisme la réforme profonde qui s'opéra dans l'anglicanisme aussi bien que dans la nation en général.

En France même, les écrivains, qui ont étudié ce siècle, ont généralement rendu justice à l'influence prépondérante de Wesley et de son œuvre. Edmond Scherer appelle le Méthodisme "un mouvement religieux qui a changé la face de l'Angleterre". "Si l'Angleterre d'aujourd'hui, dit Cornélis de Witt, ne ressemble plus à l'Angleterre du commencement du XVIIIème siècle, elle le doit en grande partie à Wesley." "Wesley et ses disciples, dit Saint-Marc Girardin, ranimèrent l'esprit chrétien dans ceux mêmes qui les combattaient." Citons enfin Charles de Rémusat: "L'œuvre et l'exemple des promoteurs du Méthodisme ont exercé une influence indirecte, beaucoup plus considérable aux yeux de l'historien que les effets immédiats de leur prédication, et suscité, avec le temps, dans toute la Grande-Bretagne et presque dans tous les pays d'origine britannique, un mouvement religieux qui a démenti la prédiction d'observateurs tels que Voltaire et Montesquieu."

Le relèvement moral de l'Angleterre, auquel Wesley et ses amis prirent une si large part, partit des classes les plus humbles pour s'élever lentement jusqu'aux plus hautes. Le Méthodisme descendit dans les couches profondes de la société anglaise, et y apporta la lumière et l'espérance. Grâce à lui, la religion, qui avait perdu toute action sur les masses, redevint le levain puissant qui féconde et transforme un peuple. Les mœurs s'adoucirent, le goût du bien-être et de l'instruction se développa, même chez les mineurs, longtemps adonnés à tous les excès. L'ouvrier anglais, naguère brutal et ingouvernable, devint, sous l'influence des idées religieuses, rangé et laborieux, attaché à son foyer et jaloux de sa dignité d'homme. Son intelligence s'aiguisa par la lecture et la méditation, en même temps que sa condition s'améliorait par l'économie et la sobriété, et il lui arriva souvent de s'élever de la pauvreté à l'aisance, et de l'aisance à la fortune.

En se moralisant, les classes populaires devaient nécessairement influer sur les classes riches. Le niveau moral de la nation s'éleva si bien qu'il s'imposa même à l'aristocratie corrompue. Sous la pression des classes inférieures et moyennes qui grandissaient rapidement en moralité et en dignité, les hautes classes durent s'amender, sous peine d'abdiquer.

L'Eglise anglicane avait été trop longtemps complice des défaillances de la noblesse et lui avait donné l'exemple de l'indifférence religieuse. Le réveil lui fournit des ministres tels que Perronet, La Fléchère, Grimshaw, Romaine, Venn, Berridge, Newton, précurseurs de ce parti évangélique, qui, au XIXème siècle, a exercé une influence si considérable sur la situation religieuse et politique de la Grande-Bretagne.

Le Méthodisme amena une transformation semblable au milieu des Eglises dissidentes, qui, bien que moins déchues, avaient à peu près perdu toute action sur les masses. Entraînées, elles aussi, par le réveil, elles retrouvèrent leur zèle ancien et prirent une part importante aux œuvres de propagande évangélique.

Ce travail de rénovation, d'où la nation anglaise sortit rajeunie, s'accomplit dans toutes les sphères de sa vie sociale, politique, intellectuelle et morale. Une littérature saine et moralisante prit la place des productions impures du siècle précédent. Richardson, Goldsmith, de Foe, Johnson, en créant des œuvres d'un caractère moral, secondèrent, sans s'en douter, la grande révolution religieuse. L'action de Dieu dans cette grande révolution religieuse que fut le Méthodisme est indiquée avec force par M. Gallienne, dans les considérations qui suivent: "Lorsque l'on s'efforce de regarder le sujet de haut, on est saisi de ce sentiment: C'est ici le doigt de Dieu! Ce n'est pas Wesley ou Whitefield qui se réveillent, c'est la religion elle-même qui se met en marche, après un temps d'arrêt et reprend le cours de ses conquêtes, animée du souffle de Dieu. On se trouve en présence d'un mouvement général des esprits, une traînée d'émotions religieuses qui parcourt le pays sans que l'on puisse dire comment ces réveils partiels se rattachent l'un à l'autre. Suivons l'ordre chronologique. En 1730-1732, le réveil se produit dans les colonies de New-Jersey, en Amérique; en 1734, Jonathan Edwards, aussi en Amérique, voit des multitudes de conversions et les décrit et les étudie dans des livres qui sont restés classiques. En 1736, voici, dans le Pays de Galles, Howell Harris, évangéliste laïque... Et c'est presque dans la même semaine que Harris et Whitefield obtiennent le pardon de leurs péchés dans la prière, et sans que l'on puisse trouver de préparation commune à ces deux hommes devant Dieu. L'Esprit de Dieu besognait dans les cœurs! Tous ces hommes de Dieu, Wesley pas plus que les autres, n'ont créé le Réveil; ils ont été pris et entraînés par le mouvement venu du ciel. Ils ont le mérite de n'avoir pas été rebelle à la vision céleste, voilà tout.

"C'est bien là, du reste, ce qui a frappé tous les historiens. L'Angleterre revient alors aux mœurs puritaines qu'elle n'avait délaissées que pour un temps, et la nation tout entière se pénètre de l'idée du devoir et de la discipline."

* * *

Et la France? Hélas! ce fut bien tardivement qu'elle participa au banquet spirituel du Réveil méthodiste, où les peuples de langue anglaise trouvèrent un renouveau de vie religieuse et morale. Le siècle, qui a mérité de s'appeler le siècle de Wesley, de l'autre côté de la Manche, fut chez nous le siècle de Voltaire. Le rapprochement de ces noms indique assez la profonde différence qui sépara la marche de la civilisation dans ces deux pays. L'un et l'autre, sans doute, aspirent à l'émancipation de l'homme et de l'humanité, et sont en travail pour enfanter un monde nouveau. Mais, tandis que la France de Voltaire cherche le progrès dans la ruine des idées religieuses, l'Angleterre de Wesley le poursuit dans le retour à l'Evangile et dans le réveil de la foi chrétienne. La marche des deux sociétés se fait dès lors en sens inverse. L'Angleterre va de l'irréligion à la foi, et la France va de la foi (une foi superstitieuse il est vrai) à l'irréligion. Voltaire a pris pour devise: Ecrasons l'infâme! et l'infâme, pour lui, ce n'est pas la superstition seulement, c'est la religion, c'est le Christ! Wesley, lui, se peint tout entier, dans ces mots de son lit de mort: "Le meilleur de tout, c'est que Dieu est avec nous!" Dieu rendu à l'âme humaine et à la société humaine, pour les guider dans la voie du salut et du progrès, telle fut bien la pensée maîtresse de sa vie. Voltaire démolit, Wesley reconstruit! Et le résultat de ce double travail, la moisson de ces semailles si différentes, c'est d'un côté la France entrant pour un siècle dans la voie des révolutions et, de l'autre, l'Angleterre entrant dans celle des réformes.

La préoccupation de l'évangélisation de la France ne fut pas étrangère à Wesley. Il eut le pressentiment et le désir que les îles de la Manche s'y employassent. En demandant à un gentilhomme pieux et lettré, tel que Brackenbury et à Adam Clarke, le futur commentateur de la Bible, d'aller fonder l'œuvre méthodiste dans les îles, il choisissait deux ouvriers d'élite en vue d'une œuvre plus grande. Ils devaient compléter leur connaissance du français, non seulement pour prêcher aux insulaires de la Manche, mais en considérant cette œuvre comme une étape vers l'évangélisation de la France. Dès 1791, un simple prédicateur local de Guernesey, William Mahy, vint se fixer à Beuville, près de Caen; il y fut rejoint par Jean de Quetteville, et, un peu plus tard, par deux gentilshommes émigrés bretons, Pierre du Pontavice et Armand de Kerpezdron, convertis l'un et l'autre par le moyen des Méthodistes dans les îles. Nous avons raconté ailleurs ces petits commencements du Méthodisme en France et la vie de ces deux gentilshommes, qui a l'intérêt d'un roman. On trouvera dans ces livres l'histoire de ces petits commencements, que Wesley avait pressentis, mais qui se produisirent après sa mort. Ces efforts pour acclimater en France le réveil furent fort entravés par les crises politiques de la Révolution et de l'Empire. Mais, avec une ténacité anglo-saxonne, nos frères d'Angleterre recommencèrent leurs travaux après la paix de 1815. Les îles de la Manche ont donné une cinquantaine de missionnaires à la France, qui les avait évangélisées au XVIème et au XVIIème siècle. Ils furent d'admirables ouvriers du Réveil des Eglises réformées.

Parmi les évangélistes anglais, le nom de Charles Cook se détache comme celui d'un grand serviteur de Dieu, et il mérite le témoignage que l'historien G. de Félice lui a rendu et dont nous détachons ces lignes: "M. Cook eut son lot dans le travail et dans le succès. Il parcourut les provinces méridionales de la France, où se trouvent les agglomérations protestantes les plus nombreuses. Là, montant dans les chaires de l'Eglise nationale, lorsqu'elles lui étaient ouvertes, convoquant de petites réunions privées, il tenta, avec la bénédiction de Dieu, de convertir l'incrédule, de réveiller l'indifférent, de ramener dans le droit chemin celui qui s'égarait, de nourrir le croyant, en un mot de faire l'œuvre d'un soldat de Christ." L'historien de la Réformation, Merle d'Aubigné, a dit, de son côté: "L'œuvre que John Wesley fit dans les Etats britanniques, Charles Cook l'a faite, en une moindre mesure sans doute, sur le Continent." D'autres noms mériteraient d'être mentionnés parmi les disciples de Wesley, qui travaillèrent avec succès au réveil des Eglises réformées; s'ils ne fondèrent pas une Eglise importante par le chiffre de ses membres, ils furent le levain qui vivifia beaucoup d'Eglises et beaucoup d'âmes.

**

Le Réveil français eut, comme le Réveil anglais, deux branches, l'une se rattachant à Wesley et l'autre plutôt à Whitefield. Celle-ci eut Genève pour principal foyer. Des chrétiens écossais et anglais visitèrent la cité de Calvin, devenue la cité de Jean-Jacques Rousseau et où le protestantisme officiel ne différait guère d'un pâle déisme. Ces chrétiens, notamment les deux Haldane, suscitèrent de sérieuses conversions, surtout dans les rangs des étudiants en théologie: les Malan, les Gaussen, les Bost, les Guers, les Monod, les Merle d'Aubigné, furent les premiers fruits de ce réveil. La France protestante eut sa large part dans le mouvement venu de l'autre côté de la Manche: Paris, Montauban, Montpellier, Nîmes en furent les principaux centres. Quoique l'orthodoxie, comme elle s'appelait volontiers, se réclamât de Calvin, et qu'elle fût, à l'origine, d'un calvinisme accentué et même exagéré (avec César Malan, par exemple), elle comportait des nuances plus adoucies, avec Ami Bost, Félix Neff, Adolphe Monod, et surtout le grand Alexandre Vinet, qui, sans se séparer des orthodoxes calvinistes, ne craignit pas de dénoncer l'antinomisme du Réveil. Sous son influence, et sous celle de son disciple Edmond de Pressensé, le Réveil français s'est dégagé des étroitesses du calvinisme des Malan et des Gaussen, et rapproché de l'arminianisme de Wesley.

Il convient de préciser l'attitude de Vinet à l'égard de la branche wesleyenne du Réveil, d'autant plus qu'elle n'eut en rien la réserve de l'orthodoxie calviniste. Charles Cook entretint avec lui d'excellents rapports pendant les années de 1844 à 1847, qu'il passa à Lausanne. Dans une lettre, où il s'excusait de ne pas pouvoir le remplacer pendant l'une de ses absences, à cause de ses fonctions officielles, Vinet ajoutait: "Aucune des personnes qui me connaissent n'ignore ma haute considération pour votre caractère, et ma reconnaissance pour vos travaux, qui ont déjà amené tant d'âmes du royaume des ténèbres à la merveilleuse lumière de Jésus-Christ." Quand la révolution du canton de Vaud de 1845, qui persécutait les chrétiens, expulsa Charles Cook, Vinet lui écrivit une belle lettre où il lui disait: "La révolution qui ravage ce pays, trop heureux naguère, n'a pas fait de plus honorable victime, et n'a pas encore atteint plus d'individus en un seul. C'est vous dire combien j'apprécie, respecte et bénis l'œuvre , que votre humble et courageuse charité poursuivait au milieu de nous."

Dans une brochure, L'Amour de Dieu pour tous les hommes, écrite avec un talent remarquable, Cook avait réfuté un écrit de César Malan, qui défendait avec âpreté la thèse de la prédestination absolue. Alexandre Vinet, à qui Cook, l'envoya, s'en déclara très satisfait. Un jeune Anglais, d'origine française, Charles de Boinville, alors étudiant à Lausanne et qui prenait pension chez lui, racontait qu'un matin il l'avait trouvé lisant cet écrit et que, plus tard, dans la journée, il l'avait trouvé absorbé encore dans cette lecture. "Ce petit livre, lui dit-il, m'a fort intéressé, et il me paraît impossible de répondre aux arguments de M. Cook."

Quelques semaines avant sa mort, le 7 mars 1847, dans une Lettre à un membre du Synode constituant de l'Eglise libre du canton de Vaud, Vinet formulait sur la théologie du Réveil un jugement qui semble un écho de la pensée de John Wesley..., ou de Charles Cook: "L'antinomisme", dit-il, "qui a été, pourquoi ne le dirions-nous pas? l'une des faiblesses de notre réveil, a, sans le vouloir, sans s'en douter, rejeté au second plan, et presque relégué dans l'ombre, le dogme de la repentance, considéré comme condition de salut."

L'idée du réveil, qui a pénétré et pris pied dans le protestantisme français, l'idée du réveil, qui prêche la repentance, qui travaille et qui insiste pour la conversion des âmes, qui ne s'emprisonne pas dans des formes liturgiques, qui a créé les réunions de prières, l'évangélisation intensive et l'activité laïque, cette idée du réveil nous est venue très certainement du réveil anglais du XVIIIème siècle. Si elle n'était pas venue de là, je me demande d'où elle serait venue. Ceux qui ont essayé de se dispenser de recourir à ces éléments étrangers n'y ont pas réussi. Un homme qui n'est pas suspect de tendances méthodistes, le pasteur Samuel Vincent, de Nîmes, reconnaît que cette intervention fut nécessaire. "Après la Révolution, dit-il, les protestants de France étaient arrivés à un repos profond qui ressemblait beaucoup à l'indifférence... Les prédicateurs prêchaient, le peuple écoutait, les consistoires s'assemblaient, le culte conservait ses formes. Hors de là, personne ne s'en occupait, personne ne s'en souciait; et la religion était en dehors de la vie de tous."

Les mouvements de réveil qui ont vivifié nos Eglises, à diverses reprises, depuis un siècle, se rattachent donc plus ou moins directement au réveil anglais de Wesley et de Whitefield. Ce n'est pas ici le lieu de raconter ces réveils, dont l'histoire est connue de tous ceux qui prennent intérêt aux destinées de la religion évangélique sur le Continent.

Nous ne finirons pas toutefois sans accorder une mention sympathique à l'Armée du Salut, cette étrange association, qui, née du wesleyanisme, a retrouvé la puissance conquérante et le grand esprit missionnaire du réveil méthodiste, tel qu'il sortit de la grande âme de Wesley. Celui-ci, ami de l'ordre et de la méthode, eût eu sans doute quelque peine à admettre les particularités militaristes et disciplinaires que le "Général" Booth a données à son Armée. Mais, en voyant le zèle et la ferveur qui caractérisent ses soldats, en les voyants descendre dans les bas-fonds de nos grandes cités, afin de chercher et de sauver ce qui est perdu, en les voyant enfin se servir des moyens de la civilisation moderne, inconnus de son temps, pour réaliser sa grande devise: Le monde est ma paroisse!, il n'eût pas hésité à donner sa bénédiction à cette vaillante milice qui, à défaut des formes, a conservé l'esprit du Méthodisme.

* * *

Pourquoi la France n'a-t-elle pas eu un Wesley? Pourquoi, sur le vieux tronc de la réforme huguenote, n'a-t-on pas vu surgir un apôtre, entraînant les âmes dans les voies d'une seconde réformation? L'Eglise martyre qui a produit Claude Brousson et Paul Rabaut, Antoine Court et Pierre Corteiz, ces contemporains de Wesley, était une mère assez féconde, semble-t-il, pour donner le jour à un Wesley français. Mais les temps de révolution et de guerre ne sont pas des temps de réveil religieux. Les fruits de la justice se sèment dans la paix.

Toutefois, ce qui n'a pas eu lieu dans le passé, l'avenir l'a peut-être en réserve. "Les grands serviteurs de Dieu, a dit le professeur Edouard Sayous, ne sont pas la propriété et le secret de l'Angleterre. Dieu peut les faire surgir où il veut. Il peut donner à la société française un Wesley français. Oh! qu'il vienne, et, quel que soit le nom de son Eglise, qu'il soit béni."


LA CONTROVERSE CALVINISTE

1770-1777

La dernière période de la vie de Wesley embrasse une vingtaine d'années, pendant lesquelles il travailla autant qu'il l'avait jamais fait. Il avait pourtant atteint la vieillesse et avait soixante-sept ans au moment où nous sommes arrivés; mais la mort seule devait marquer pour lui le moment du repos. Si la blancheur de ses cheveux semblait indiquer que l'hiver de la vie avait commencé pour lui, la vigueur de sa santé et la chaleur de son âme devaient lui assurer jusqu'au bout un été perpétuel.

On voudrait se représenter la vieillesse de ce grand serviteur de Dieu comme exempte de luttes, aussi bien que d'infirmités; on aimerait assister à une sorte de trêve de Dieu au soir de cette belle vie. Il n'en fut pas ainsi, au moins pendant les premières années de cette période. Le réveil du XVIIIème siècle, comme la réformation du XVIème, fut troublé par des querelles doctrinales, qui jettent une ombre sur les hommes dont elles nous montrent les faiblesses, sans réussir pourtant à compromettre une œuvre qui vient de Dieu.

La polémique entre les partisans et les adversaires de la prédestination calviniste, qui, trente ans auparavant, avait amené une scission au sein du Méthodisme, avait plus ou moins sommeillé depuis lors. L'influence de Whitefield, qui réservait toute la flamme de son grand cœur à l'activité missionnaire, retenait ses bouillants disciples. Sa disparition fut le signal de la reprise des hostilités.

La lutte s'ouvrit même, quelques mois avant sa mort, par la publication faite par un jeune ministre anglican, Auguste Toplady, de deux traités, dont l'un avait pour but de venger l'Eglise d'Angleterre du reproche d'arminianisme1, tandis que l'autre cherchait à établir la doctrine de la prédestination absolue2, d'après un ouvrage latin de Zanchi, théologien ultra-calviniste du XVIème siècle. Walter Sellon, ancien professeur à l'école de Kingswood, qui, en devenant ministre anglican, était demeuré l'ami et le partisan de Wesley, répondit à ces écrits. Et Wesley lui même publia, au commencement de 1770, deux traités, dont l'un répondait à la question: Qu'est-ce qu'un Arminien? Il y expliquait historiquement une appellation "qui équivalait, dit-il, pour beaucoup de gens à celle d'un chien enragé3".

L'auteur, après avoir exposé, avec une grande clarté, les vues des Arminiens sur les trois points qui les séparent des calvinistes, terminait sa brochure en rendant hommage à la piété de Calvin et d'Arminius, et en suppliant leurs disciples de ne pas continuer à se jeter à la tête, comme des injures, les noms de ces chrétiens éminents.

Une déclaration doctrinale adoptée par la Conférence de 1770, sur la proposition de Wesley, vint ouvrir véritablement le grand débat, dont l'échange de brochures que nous venons de mentionner n'était que le prélude. Ce document, qui servit de texte aux accusations les plus véhémentes, mérite d'être reproduit en entier:

"En 1744, nous dîmes: 'Nous avons trop penché vers le calvinisme.' En quoi?

"1° Par rapport à la fidélité de l'homme. Notre Seigneur nous a appris lui-même à nous servir de cette expression, et nous ne devons pas en avoir honte. Nous devons fermement affirmer, sur son autorité, que, si un homme n'est pas 'fidèle dans les richesses injustes', Dieu ne lui confiera pas les vraies richesses.

"2° Par rapport au travail pour la vie (working for life). Cela aussi notre Seigneur l'a expressément commandé: 'Travaillez pour la nourriture qui dure en vie éternelle.' Et, en fait, chaque croyant, jusqu'à ce qu'il arrive à la gloire, travaille autant pour vivre que parce qu'il vit.

"3° Nous avons admis comme maxime qu'un homme ne doit rien faire en vue de la justification'. Rien n'est plus faux. Quiconque désire trouver faveur auprès de Dieu doit 'cesser de mal faire et apprendre à bien faire'. Quiconque se repent doit 'faire des œuvres de repentance'. Et si ce n'est pas afin de trouver grâce, pourquoi donc doit-il les faire?

"Repassons tout ce sujet:

"1 ° Qui de nous est maintenant accepté de Dieu? Celui qui maintenant croit en Christ d'un cœur aimant et obéissant.

"2° Et parmi ceux qui n'ont jamais entendu parler de Christ? Celui qui craint Dieu et pratique la justice, selon les lumières qu'il a.

"3° Cela signifie-t-il 'celui qui est sincère?' A peu près, sinon tout à fait.

"4° N'est-ce pas là le salut par les œuvres? Non pas par le mérite des œuvres, mais par les œuvres comme condition.

"5° Sur quoi donc avons-nous tant disputé depuis treize ans? Sur des mots, je le crains.

"6° Quant au mérite lui-même, dont nous avons été si terriblement effrayés, nous sommes récompensés 'selon nos œuvres', oui, 'à cause de nos œuvres'. En quoi cela diffère-t-il de: pour l'amour de nos œuvres, ou secundum merita operum, selon que nos œuvres méritent? Pouvez-vous fendre ce cheveu-là? Je ne m'en sens pas capable, quant à moi.

"7° La grande objection à l'une des propositions qui précèdent est tirée des faits. Dieu, en fait, justifie ceux qui, d'après leur propre témoignage, ne craignaient pas Dieu et ne pratiquaient pas la justice. Font-ils exception à la règle générale? Il est douteux que Dieu fasse aucune exception. Mais comment sommes-nous sûrs que la personne en question n'a jamais craint Dieu ni pratiqué la justice? Son propre aveu n'est pas une preuve; car nous savons combien tous ceux qui sont convaincus de péché se déprécient volontiers à tous égards.

"8° Est-ce que parler d'un état de justification ou de sanctification ne tend pas à égarer les hommes, en les amenant tout naturellement à se confier en ce qui a été fait en un moment? D'autant que, à chaque heure et à chaque moment, nous plaisons ou nous déplaisons à Dieu 'selon nos œuvres', selon l'ensemble de nos sentiments intérieurs et de notre conduite extérieure."

Le but de Wesley, en publiant ces propositions, était de réagir contre la tendance antinomienne qui menaçait de ruiner le réveil et avait déjà produit, dans beaucoup d'âmes, un déplorable relâchement moral. Depuis trente ans, il voyait plusieurs de ses sociétés ravagées par des hommes qui, exagérant la doctrine de la grâce, en étaient arrivés à dire: "Péchons afin que la grâce abonde!" Le désir de repousser toute solidarité avec de pernicieuses doctrines l'amena à formuler son point de vue en des termes que ses meilleurs disciples eux-mêmes ont trouvé paradoxaux et peu mesurés. La déclaration qu'on vient de lire était plutôt un bulletin de combat que l'expression calme et complète des convictions de Wesley sur la question du salut par la foi. Cette expression, c'est dans ses sermons qu'il faut la chercher.

Quoi qu'il en soit, la déclaration doctrinale de la Conférence de 1770 causa une vive irritation parmi les partisans de Whitefield. Lady Huntingdon, avec l'impétuosité qui la caractérisait, fit savoir à Wesley qu'elle ne le ferait plus monter dans les chaires de ses chapelles, tant qu'il n'aurait pas désavoué des propositions qu'elle déclarait "horribles et abominables". A l'entendre, Wesley avait abandonné la grande doctrine de la justification par la foi, articulum stantis vel cadentis ecclesioe, et était convaincu de pélagianisme. Etrange accusation, à laquelle Wesley opposa, quatre mois après, la meilleure des réfutations dans le discours funèbre qu'il prononça à l'occasion de la mort de Whitefield; il y montra, avec force, que le Méthodisme n'avait jamais varié dans l'affirmation de la doctrine de la justification par la foi et qu'il y avait toujours eu parfait accord entre son ami et lui sur ce point capital. Mais il était trop tard; l'épée était sortie du fourreau et ne devait pas y rentrer de si tôt. Les disciples de Whitefield n'avaient plus leur maître pour les modérer, et ils mirent une vraie passion à rallumer la querelle.

La comtesse, convaincue que sa théologie ultra-calviniste était la seule vraie, imposa à tous ceux qui se rattachaient à son collège de Trevecca, une déclaration formelle par laquelle ils répudiaient les propositions de Wesley. Joseph Benson, l'un des professeurs, s'y refusa et fut congédié. La situation de La Fléchère, qui était président du collège, devenait délicate, entre lady Huntingdon, qui eût désiré conserver l'appui de ses lumières et de sa piété, et Wesley, dont il partageait la manière de voir. Il eut une explication avec celle qu'il appelait "notre Déborah" et lui déclara que, "si elle ne voulait plus d'Arminiens dans son collège, il devait se retirer4 car, ajouta-t-il, je ne puis pas plus renoncer à la possibilité du salut pour tous qu'à la vérité et à l'amour de Dieu". Il reconnaissait que la doctrine de son ami "n'était pas exprimée avec assez de circonspection" dans les propositions incriminées; mais il rappela que les vrais sentiments de Wesley en ces matières étaient assez connus pour qu'il n'y eût pas d'équivoque possible5. Il recommanda à la comtesse et à ses amis de "mettre le feu aux champs des Philistins, et non à ceux de leurs frères israélites, dont le seul tort était de ne pas prononcer shibboleth de la même façon qu'eux6". Ces conseils ne furent pas écoutés, et les Israélites, pour employer le langage de La Fléchère, déployèrent à s'entre-déchirer une ardeur qu'ils eussent dû tourner contre les Philistins.

La Conférence de 1771 se réunit à Bristol en août. Il était à prévoir qu'elle reviendrait sur les propositions votées l'année précédente, afin de les expliquer. Au lieu d'attendre ces explications, ou de les solliciter fraternellement, les chefs du Méthodisme calviniste eurent recours à une démarche insolite et à une sommation offensante.

Walter Shirley, neveu et chapelain de la comtesse, lança une circulaire pour convoquer le ban et l'arrière-ban des adversaires de Wesley. Celui-ci attendit de pied ferme la sommation qu'on préparait bruyamment. La circulaire de Shirley, répandue dans les trois royaumes, n'amena à Bristol que sept ou huit personnes, dont deux laïcs et deux étudiants. Wesley, sans s'arrêter à ce qu'avait d'irrégulière cette délégation spontanée, la reçut et écouta ce qu'elle avait à dire. Une déclaration explicative fut rédigée en commun et signée par Wesley et 53 de ses prédicateurs. En voici le texte:

"Attendu que les points de doctrine, dans les Minutes de la Conférence tenue à Londres le 7 août 1770, ont été compris comme favorisant la justification par les œuvres, le rév. John Wesley et d'autres, assemblés en Conférence, déclarent qu'on nous a mal compris, et que nous abhorrons la doctrine de la justification par les œuvres comme une doctrine dangereuse et abominable; et, comme les dites Minutes ne sont pas rédigées en termes suffisamment pondérés, nous déclarons solennellement, en présence de Dieu, que nous n'avons d'espérance et de confiance que dans les mérites de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, pour la justification ou le salut, dans la vie, à la mort et au jour du jugement; et que, bien que nul ne soit un vrai croyant chrétien et conséquemment ne puisse être sauvé, s'il ne fait pas de bonnes œuvres, s'il en a le temps et l'occasion, toutefois nos œuvres ne servent en aucune mesure à mériter ou à acquérir notre salut, du commencement à la fin, en tout ou en partie."

Shirley consentit à déclarer, de son côté, "qu'il s'était trompé sur le sens des propositions doctrinales de la Conférence de 1770 et qu'il était pleinement satisfait par la déclaration". S'en fallait de beaucoup cependant que la discussion fût close; elle ne faisait en réalité que commencer et allait durer plusieurs années.

La Fléchère, indigné des accusations et des calomnies répandues sur le compte de son ami, avait préparé une Défense des "Minutes" du révérend M. Wesley, sous une forme de lettres à Shirley, et il en avait envoyé le manuscrit à Wesley. Celui-ci le mit immédiatement sous presse, jugeant qu'après les accusations passionnées qui avaient été portées contre lui, il n'avait pas le droit de supprimer le témoignage que venait lui rendre publiquement un homme dont la haute valeur religieuse commandait le respect à tous les partis. On a fait un crime à Wesley d'avoir publié cet écrit après que la réconciliation des deux partis s'était faite à Bristol; mais les tendances antinomiennes, contre lesquelles il avait voulu élever une barrière par sa première déclaration, subsistaient et menaçaient les sociétés, et quelque amour qu'il eût pour la paix, il n'entendait pas la faire au détriment des principes7.

L'écrit de La Fléchère parut donc et produisit une vive sensation. L'auteur, si considéré déjà comme homme et comme prédicateur, s'y montrait écrivain supérieur. Cet étranger maniait la langue anglaise avec une aisance et une sûreté remarquables, et sa clarté n'était égalée que par son éloquence. Sa controverse avait un caractère élevé, impartial, généreux, qui n'enlevait rien à la force de son argumentation, mais qui tranchait avec les habitudes de la polémique courante. Cet écrit, de 98 pages, se divisait en trois parties: 1° une vue générale des doctrines de Wesley; 2° une indication du but poursuivi par lui en publiant ses Minutes; 3° une défense des propositions qui y étaient contenues, au moyen d'arguments tirés de l'Ecriture, de la raison et de l'expérience, et au moyen de citations de théologiens calvinistes éminents.

"Le but de Wesley, dit l'auteur dans sa seconde partie, est de mettre en garde ses prédicateurs et leurs auditeurs contre les principes antinomiens et contre les pratiques qui en découlent, lesquels se sont répandus comme un incendie, dans quelques-unes de ses sociétés. Il s'y est trouvé des gens qui parlent de la façon la plus exaltée de Christ et de leur participation à Son parfait salut, et qui, en même temps, vivent dans les plus grossières immoralités, ou se laissent aller aux dispositions les moins chrétiennes."

Shirley répondit à La Fléchère, en publiant une relation de ce qui s'était passé, dans laquelle il essayait de montrer que le document signé à Bristol par Wesley et 53 prédicateurs était une rétractation. Le pasteur de Madeley ne pouvait laisser passer cette assertion, et, avant la fin de l'année, il publia son second Checks to Antinomianism, ainsi qu'il désigna dès lors cette série de publications. Il y défend par l'Ecriture la doctrine que l'homme, justifié ici-bas par sa foi, le sera par ses œuvres au jour du jugement; et il appuie sur la nécessité d'une prédication fortement morale, en décrivant l'état de relâchement moral et de décadence religieuse où l'enseignement antinomien avait réduit la plupart des Eglises évangéliques de son temps.

Shirley se retira du champ de bataille, mais d'autres y étaient descendus. Les deux frères Hill, Richard et Rowland8, se jetèrent dans l'arène avec plus de fougue que de prudence.

En 1772, Richard Hill adressa à La Fléchère cinq lettres9, où la doctrine de la prédestination absolue, qui avait été un peu laissée dans l'ombre jusqu'à ce moment, était défendue avec vivacité. Ce fut l'occasion du troisième Check, dans laquelle Fléchère repousse, avec une logique serrée et une éloquence émue, le déterminisme calviniste. Il s'y excuse, en terminant, de sa franchise de montagnard suisse, et en profite pour recommander à ses frères, calvinistes et arminiens, l'équité et la modération dans les jugements qu'ils portent les uns sur les autres.

Cette recommandation n'était pas superflue. La polémique, en se prolongeant, aigrissait les esprits, et des arguments, on en arriva bien vite aux invectives. Du côté wesleyen, ces excès furent rares; avec un champion de la valeur de La Fléchère, les amis de Wesley étaient moins tentés que leurs adversaires de se laisser emporter; la force de son argumentation les rassurait, et la noble modération de sa polémique leur était en exemple. On doit regretter, toutefois, de trop nombreux oublis de cet exemple dans les écrits de Walter Sellon et de Thomas Olivers. Du côté calviniste, la polémique glissa presque constamment dans la vulgarité et ne recula pas devant l'emploi de l'injure. Les deux frères Hill et Auguste Toplady se distinguèrent surtout dans ce rôle, qui ne convenait ni à leur éducation ni à leur piété. Leurs invectives contre Wesley et contre ses amis dépassent, en personnalités offensantes et en accusations calomnieuses, tout ce que leurs ennemis les plus acharnés avaient inventé contre eux. Ce fut Wesley surtout qui eut l'honneur d'essuyer les attaques les plus furibondes des prédestinatiens. "Pape Jean, jésuite, païen, vieux renard", etc., telles furent quelques-unes des aménités que prodiguèrent, pendant plusieurs années, à ce vieillard septuagénaire, dont la vie avait été toute consacrée à Dieu et au bien de l'humanité, des hommes relativement jeunes et qui furent eux-mêmes, cela n'est pas douteux, des chrétiens sincères et des propagateurs éminents du réveil. Si jamais l'adium theolagicum a paru misérable et repoussant, c'est bien dans quelques-uns des écrits auxquels cette polémique donna naissance. Qu'avait donc fait Wesley pour mériter toutes ces colères? La part qu'il prit directement à la controverse calviniste se réduisit à la déclaration trop peu explicite de la Conférence de Bristol et à quelques opuscules, tous écrits avec une grande modération, mais avec ce grain de sel qui était l'assaisonnement ordinaire de ses écrits de controverse.

L'année suivante, les attaques des frères Hill le décidèrent enfin à "tirer l'épée en jetant au loin le fourreau", selon sa propre expression, et, sans perdre jamais la possession de lui-même, il défendit énergiquement son caractère et ses convictions contre leurs diffamations. Il y déclarait que les écrits de La Fléchère l'avaient convaincu qu'il avait usé de trop de ménagements envers "les prédicateurs de la réprobation", et que, puisque Richard Hill déclarait lui-même que 'tout accord avec ceux qui objectaient à l'élection était une alliance avec la mort", il se considérerait désormais comme averti. Dans cet écrit, et dans celui qu'il publia en 1773, il se défendit, le plus souvent avec succès, contre l'accusation d'avoir varié dans ses opinions. Cette accusation, soutenue par son auteur au moyen d'un grand nombre de citations empruntées aux écrits de Wesley, était vraie sur certaines questions secondaires, mais ne l'était pas quant aux doctrines capitales du système wesleyen.

Mentionnons enfin, en 1774, un traité sur la Nécessité, envisagée au point de vue moral et philosophique, où Wesley combat avec force le déterminisme de Hume, de Hartley et d'Edwards, et que résume bien cette phrase de la préface: "Je ne puis pas croire que la plus noble créature du monde visible soit seulement une belle pièce d'horlogerie."

La Fléchère avait continué, à de courts intervalles, la publication de ses Checks, en réponse aux articles des deux Hill et de Berridge, le vicaire d'Everton, qui avait aussi voulu briser une lance en faveur du calvinisme, tout en se distinguant de ses amis par le sérieux de son style. Ce ne fut qu'en 1776 que La Fléchère prit à partie Toplady, le plus fort, malgré ses intempérances de langage, des polémistes calvinistes. Il répondit d'abord à sa Défense des décrets par l'un de ses plus ingénieux écrits, où il démontre, avec une logique pressante, que la doctrine de la prédestination absolue et inconditionnelle de quelques hommes à la vie éternelle entraîne, comme conséquence nécessaire, la prédestination de tous les autres à la mort éternelle.

Toplady avait aussi attaqué le traité de Wesley sur la Nécessité et avait conclu au déterminisme le plus hardi. La Fléchère le suivit sur ce nouveau terrain et prouva que l'argumentation philosophique ne le prenait pas plus au dépourvu que la discussion théologique.

La Fléchère eut une place à part dans la controverse calviniste. Robert Southey, qui lui reproche une manière un peu diffuse, ajoute que "l'abondance des images et l'onction trahissent l'origine française de l'écrivain; l'argumentation est d'ailleurs ingénieuse et claire, l'esprit qui anime ses œuvres est excellent, et l'on sent qu'on a affaire à un maître qui connaît à fond le sujet qu'il traite". Southey dit encore: "Si jamais la vraie charité chrétienne fut manifestée dans des écrits polémiques, ce fut bien dans ceux de la Fléchère, de Madeley. La controverse théologique ne réussit jamais, au moindre degré, à irriter son caractère vraiment céleste. Ce saint homme fut un polémiste à la fois plein de candeur, de distinction et d'habileté1O." La controverse calviniste anglaise ne fut pas un stérile tournoi théologique. On put croire qu'elle n'avait abouti qu'à fortifier dans chaque parti l'attachement à son point de vue particulier et à creuser entre eux un abîme. Mais c'est là une appréciation superficielle des choses. Quand la poussière du combat fut tombée, on put constater que le prédestinationisme avait reçu des blessures dont il ne se relèverait pas, et, qu'en face de lui venait de se dresser l'arminianisme évangélique, cet excommunié du Synode de Dordrecht. Tandis qu'en Hollande, ce système vaincu et proscrit avait dévié peu à peu vers le latitudinarisme théologique, en Angleterre, il prenait la tâche de conserver la doctrine de la grâce, telle que les réformateurs l'avaient reçue de saint Paul, en repoussant la doctrine de la prédestination absolue, qu'ils avaient empruntée à saint Augustin.

"Cette controverse, dit Watson, a produit d'importantes conséquences. Elle a montré aux calvinistes modérés combien sincèrement les vues les plus profondes de la vérité évangélique peuvent s'harmoniser avec l'arminianisme; et, d'autre part, en montrant avec force les conséquences logiques de la doctrine des décrets, elle a contraint à la modération ceux qui les admettent encore, et a donné naissance à des modifications et à des atténuations du calvinisme, qui se sont produites dans la période qui a suivi, et qui se continuent de nos jours 11."

* * *

La Fléchère12, après avoir été le brillant champion de l'arminianisme évangélique, se demanda s'il n'était pas possible de trouver un terrain commun entre les adversaires également chrétiens que la lutte avait échauffés. Il publia, en 1777, deux brochures, dont les titres indiquent le but irénique. En voici les titres:

1. Les Doctrines de la Grâce et de la Justice également essentielles au pur Evangile. Ou quelques remarques sur les divisions malfaisantes produites parmi les chrétiens qui ont voulu séparer ces doctrines. Introduction à un plan de réconciliation entre les défenseurs d'une grâce partiale, communément appelés Calvinistes et les défenseurs d'une impartiale justice, communément appelés Arminiens.

2. La deuxième brochure contenait trois parties, où l'auteur exposait d'abord ce qu'il appelle: l'Arminianisme de la Bible et le Calvinisme de la Bible, et où il montrait ensuite leur réconciliation, ou le moyen de faire d'Arminiens candides de bons Calvinistes bibliques, et de Calvinistes candides de bons Arminiens bibliques. La troisième partie contenait un Plan de Réconciliation.

Les titres de ces brochures indiquent assez le but que poursuivait l'auteur. Dans un ouvrage intitulé Le Portrait de saint Paul, qu'il écrivit en français, pendant le séjour qu'il fit à Nyon, sa ville natale, dans les dernières années de sa vie, il reprit ce sujet qui lui tenait à cœur et défendit, avec une ardeur touchante, la cause de la conciliation entre Arminiens et Calvinistes, dans la contrée même où Calvin avait vécu et publié son Institution de la religion chrétienne. Mais, pas plus en Suisse qu'en Angleterre, les chrétiens n'étaient mûrs pour accepter la voie moyenne où La Fléchère les invitait à se rencontrer.

NOTES (La controverse Calviniste):

  1. Church of England vindicated from the charge of Arminianism.
  2. The doctrine of absolute predestination stated and asserted.
  3. Voyez sur Arminius et ses doctrines les pages 22 à 24 de l'Introduction à ce livre.
  4. Lettre à Wesley, dans Tyerman, Life of Wesley, tome Il, page 88.
  5. Lettre à Benson, dans Tyerman, tome III, p. 89.
  6. Tyerman, Life of Fletcher, 1882, p. 178.
  7. La Fléchère, qui n'assistait pas à la Conférence, lorsqu'il apprit la réconciliation qui s'y était produite, écrivit à son ami Ireland d'arrêter la publication de ses Lettres. Ireland était un Méthodiste calviniste qui avait signé la fameuse circulaire avec Shirley, mais il avait des amis dans les deux camps. Il fit donc tout ce qui était en son pouvoir pour suspendre l'impression et l'écrit de la Fléchère; mais Wesley était alors en tournée missionnaire, et Thomas Olivers, l'un de ses prédicateurs chargé de surveiller la publication de ses ouvrages, refusa d'arrêter l'impression, et l'ouvrage parut. La Fléchère, loin de s'en affliger, reconnut lui-même que cette publication était "un mal nécessaire".
  8. La famille Hill était une vieille famille noble. Richard Hill, l'aîné des deux frères, qui, à la mort de son père, devint sir Richard Hill, naquit en 1733. Amené à la foi par le moyen du Méthodisme, il se voua, pendant quelques années, à l'évangélisation, sans cesser d'être laïc. Son frère Rowland, né en 1744, devint l'un des prédicateurs les plus originaux et les plus puissants du réveil. Il vécut jusqu'en 1838.
  9. Five Letters to the Rev. Mr. Fletcher.
  10. SOUTHEY, Life of Wesley, chap. XXV.
  11. Richard WATSON, Life of Wesley, chap. XI.
  12. Le morceau qui suit figure, à partir de la quatrième édition, dans ce livre. L'évolution qu'il fait connaître dans l'attitude de La Fléchère nous a paru trop importante pour être passée sous silence.

Référence: JOHN WESLEY, SA VIE ET SON ŒUVRE, Matthieu Lelièvre, septième édition

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