En publiant ce nouveau commentaire, je ne me sens pas exempt de
toute anxiété. L'accueil fait à ses frères aînés m'encourage, il
est vrai ; mais le livre apostolique expliqué dans ces pages est
d'une nature tellement pratique et touche par conséquent à un si
grand nombre de phénomènes religieux actuels, qu'il est difficile
de s'abstenir de certains rapprochements qui peuvent nuire à l'objectivité
du travail.
Puis la responsabilité du commentateur s'accroît d'autant que les
résultats qu'il obtient sont propres à exercer une influence plus
directe sur la solution des questions qui préoccupent aujourd'hui
l'Eglise.
Aussi suis-je particulièrement pressé de demander à Dieu d'éloigner
toute conséquence nuisible des erreurs que j'aurais pu commettre
en interprétant ce livre si important, et de dire à mes lecteurs,
comme l'apôtre lui-même, mais dans un sens un peu différent du sien
: Jugez vous-mêmes de ce que je dis.
Je n'ajouterai qu'un mot d'explication relativement à la fixation
du texte. On ma plusieurs fois reproché en Angleterre mon criticisme
défectueux sur ce point-là, ce qui si je ne me trompe signifie au
fond que j'ai le tort de ne pas adhérer pleinement à la théorie
et à la pratique de MM. Westcott et Hort.
Je respecte et j'admire autant que qui que ce puisse être l'immense
travail de ces deux savants ; mais il m'est impossible d'accepter
sans réserve le résultat auquel ils sont arrivés.
L'exégèse m'a convaincu trop souvent des erreurs du Sinaïticus
et du Vaticanus, isolés ou même réunis, pour que je puisse
me livrer à ces manuscrits les yeux bandés, comme croient devoir
le faire les hommes vénérés que je viens de nommer.
Je rendrai mes lecteurs attentifs à trois passages seulement dans
notre épître où l'erreur du texte de ces documents, qu'on le nomme
neutre ou alexandrin ou l'un et l'autre, me paraît manifeste ; ce
sont 9:1, 9:10 et 13:3.
Dans ces cas-là, comme dans bien d'autres, il ne me paraît pas
qu'une saine critique puisse se résoudre à sacrifier à la transcription
de deux copistes du IV° siècle, si souvent surpris en faute, le
bon sens exégétique.
Il m'est d'ailleurs impossible de croire qu'un homme tel que Chrysostome
ait pu, en adoptant en plein et sans scrupule le texte syrien ou
byzantin, donner aveuglément la préférence à une œuvre de compilation
toute récente et dont l'autorité n'aurait eu dans les documents
antérieurs aucun point d'appui.
J'espère que le second volume pourra paraître dans quelques mois.
Puisse ce travail contribuer en quelque chose à la gloire du Seigneur
et au bien de son Eglise !
Neuchâtel, 28 décembre 1885.
F.GODET.
Un intérêt tout particulier s'attache à la correspondance de saint
Paul avec l'Eglise de Corinthe. Ayant fondé lui-même cette Eglise
et vécu dans son sein pendant près de deux ans, il n'avait pas à
lui exposer par écrit, comme à l'Eglise de Rome, son évangile.
Mais il fut appelé par des circonstances particulières à compléter
sur plusieurs points son enseignement et surtout à combattre certaines
altérations qui s'étaient produites ou qui menaçaient de s'introduire
dans la vie de l'Eglise.
Nos deux épîtres aux Corinthiens furent aussi le produit de circonstances
spéciales, locales et temporaires. C'est là la raison pour laquelle
un critique éminent, Weizsaecker, les a appelées : Un
fragment d'histoire ecclésiastique tel qu'aucun autre.
On pourrait conclure de l'origine purement occasionnelle de ces
deux épîtres qu'elles appartiennent à un passé qui ne nous regarde
plus et n'ont plus pour nous, par conséquent, une valeur religieuse
actuelle. Si même il en était ainsi, ne serait-ce rien que de nous
laisser transporter par elles en pleine vie ecclésiastique à l'époque
des premiers temps et d'assister en quelque sorte aux crises par
lesquelles avaient à passer les nouveaux convertis d'il y a dix-huit
siècles ?
Mais l'intérêt qu'excitent ces épîtres va bien plus loin et plus
profond encore. Le cœur de l'homme reste le même dans tous les temps.
Les expériences des chrétiens apostoliques ne diffèrent pas essentiellement
de celles que nous faisons nous-mêmes.
Cette observation est particulièrement vraie à l'égard de l'Eglise
de Corinthe. Car ce ne sont plus ici, comme en Galatie, les préjugés
judaïques contre lesquels l'apôtre a essentiellement à lutter, au
moins dans la première épître. En Achaïe, nous assistons au premier
contact de l'Evangile avec la vie hellénique, si richement douée
et si brillante, mais d'autre part si frivole et si mobile, et qui
ressemble à tant d'égards à notre vie moderne.
En particulier, la tendance à faire des vérités religieuses l'objet
de l'étude intellectuelle plutôt que du travail de la conscience
et de l'acceptation du cœur, la disposition, qui en résulte, à ne
point placer toujours la conduite morale sous l'influence de la
conviction religieuse, et à donner essor à celle-ci plutôt par le
discours oratoire que par l'énergie de la sainteté, ce sont là des
défauts que plus d'une nation moderne partage avec le peuple grec.
Et la question est de savoir si l'apôtre, après avoir tiré de l'Evangile,
tel que le Seigneur le lui avait révélé (Galates 1:11-12), la parole
d'affranchissement propre à émanciper la conscience du joug mosaïque,
y trouvera aussi la puissance nécessaire pour réprimer la licence
païenne et amener la volonté captive sous la loi de la sainteté,
sans retomber dans l'emploi des formes légales.
Mais ce qui donne le plus vif intérêt aux questions soulevées par
l'état de l'Eglise de Corinthe, c'est la manière dont l'apôtre les
discute et les résout. En traitant chaque fait particulier soumis
à son appréciation, l'apôtre ne s'arrête point à la surface ; il
s'efforce de pénétrer jusqu'à la racine de ces manifestations diverses.
Au lieu de trancher sommairement les questions comme par un article
de code, il cherche dans les profondeurs de l'Evangile le principe
permanent qui s'applique au phénomène passager, de telle sorte que
pour juger les manifestations et les tendances analogues de nos
jours, nous n'avons qu'à redescendre nous-mêmes de la règle pratique
par laquelle il termine chacune de ces discussions jusqu'au principe
évangélique où il l'a puisée, afin d'appliquer à notre tour ce principe
au phénomène contemporain qui nous préoccupe.
Il n'y a pas de travail à la fois plus stimulant pour l'intelligence
et plus propre à former la conscience chrétienne que celui-là. Par
l'épître aux Romains, nous connaissons saint Paul comme docteur
; dans celle aux Galates il nous apparaît comme le polémiste et
le dialecticien consommé ; nous apprenons à le connaître dans la
première aux Corinthiens en sa qualité d'apôtre pasteur et casuiste,
en prenant ce dernier mot dans son meilleur sens.
Enfin un autre genre d'intérêt est éveillé chez nous par l'étude
de cette lettre. M. Renan dit de saint Paul : Il
n'avait pas la patience qu'il faut pour écrire ; il était incapable
de méthode. Ces jugements sommaires font loi pour plusieurs
et sont volontiers répétés par les écrivains superficiels. Nous
aurons très particulièrement, dans l'étude de cette épître, l'occasion
de mettre à l'épreuve cette appréciation.
La question de méthode se présentait dans ce cas d'une manière
plus difficile que dans toute autre. Quand l'apôtre avait à développer
un côté de la vérité chrétienne, sa marche lui était tracée par
le sujet lui-même et par la forme logique de sa pensée. Ici rien
de pareil. Saint Paul se trouve en face d'un certain nombre de questions
pratiques particulières, sans relation directe les unes avec les
autres.
Il s'agit de dissensions, de scandales, de procès, de mariage et
de célibat, de viandes sacrifiées, de la tenue des femmes dans le
culte, d'agapes, de résurrection ... , et l'on se demande, non sans
curiosité, si son esprit parviendra à dominer cette multiplicité
de sujets et à les disposer rationnellement de manière à laisser
ici, aussi bien qu'ailleurs, l'impression de l'ordre et de l'unité.
Dans l'introduction de l'épître aux Romains, j'ai traité de la
vie de saint Paul en général ; je n'y reviendrai pas ici. Quatre
sujets nous occuperont :
1°) La fondation de l'Eglise de Corinthe.
2°) Les circonstances extérieures dans lesquelles notre première
épître canonique lui a été adressée.
3°) Les événements qui étaient survenus depuis la fondation
de l'Eglise et qui motivèrent cette lettre.
4°) L'arrangement adopté par l'apôtre dans la suite et le
groupement des sujets à traiter.
Ce fut, si nous ne nous trompons, vers l'automne de l'an 52, peu
après l'assemblée appelée le Concile de Jérusalem, que Paul partit
d'Antioche avec Silas pour accomplir un second voyage missionnaire.
Ils visitèrent l'abord les Eglises de Lycaonie et de Pisidie, fondées
dans le premier voyage par Paul et Barnabas. Puis, selon toute probabilité,
ils annoncèrent l'Evangile dans la province de Galatie, située plus
au nord, et, traversant de l'est à l'ouest l'Asie-Mineure sans que
l'Esprit leur permît d'y prêcher, ils arrivèrent jusqu'au bord de
la mer Egée, à Troas, et là, avec le jeune Timothée qu'ils s'étaient
adjoint en Lycaonie et le médecin Luc, déjà chrétien sans doute,
qu'ils rencontrèrent dans cette ville, ils s'embarquèrent pour la
Macédoine.
Après avoir fondé l'Eglise dans les deux principales villes de
cette province, Philippes et Thessalonique, Paul partit seul pour
la Grèce méridionale et se rendit à Athènes d'abord, puis à Corinthe,
capitale de la province d'Achaïe. Il fut bientôt rejoint dans cette
dernière ville par ses deux collaborateurs Silas et Timothée, et
il y demeura avec eux pendant deux ans environ.
Détruite en 146 avant Jésus-Christ par les Romains, Corinthe depuis
un siècle à peu près était sortie de ses ruines. En l'an 44, Jules
César l'avait fait rebâtir et l'avait peuplée de nombreux colons,
pour la plupart affranchis romains ; à ceux-ci étaient venues se
joindre une certaine portion de population grecque, et bientôt une
colonie juive.
La ville comptait, au moment où l'apôtre y arriva, de six à sept
cent mille habitants, dont deux cent mille hommes libres et quatre
cent mille esclaves. Elle avait une lieue et demie de tour. Cet
immense et rapide accroissement, qui rappelle celui de certaines
villes des Etats-Unis d'Amérique, était dû surtout à sa situation
sur l'isthme qui porte son nom et qui, joignant le Péloponnèse au
continent, séparait les deux mers Egée et Ionienne.
Corinthe possédait deux ports principaux, celui de Cenchrée, donnant
à l'est, et celui de Lechœum, à l'ouest. Elle était bien vite devenue
le grand entrepôt de commerce entre l'Asie et l'Occident. Aussi
cette cité que l'on appelait autrefois la lumière et l'ornement
de la Grèce, avait-elle promptement recouvré son ancienne splendeur.
Au sommet de son acropole brillait le temple de Vénus, d'une magnificence
incomparable. Corinthe possédait tous les moyens de culture dont
jouissaient alors les capitales du monde civilisé, les ateliers
d'industrie et de beaux-arts, les salles de rhéteurs, les écoles
de philosophie. Un ancien historien dit que l'on ne pouvait faire
un pas dans les rues de Corinthe sans rencontrer un sage.
Mais, comme et plus qu'ailleurs, la corruption des murs avait
marché de pair avec le développement de la culture et de la richesse.
Le mélange d'éléments hétérogènes dont se composait la population
de la nouvelle Corinthe avait sans doute contribué à produire cet
état de choses.
Un mot dit tout. On désignait par le terme de corinqiazein
(corinthiazein), vivre à la Corinthienne, un genre
de vie absolument dissolu. Les expressions de banquet corinthien,
de buveur corinthien étaient proverbiales.
C'est au milieu de cette société en état de pleine prospérité extérieure,
mais aussi de complète dissolution morale, que le sel vivifiant
de l'Evangile vint à tomber par l'arrivée de saint Paul, vingt-quatre
ans environ après l'ascension du Seigneur Jésus.
Si Paul, au moment de sa conversion, vers l'an 37, était âgé de
trente ans au moins, le jour où il entra dans Corinthe, il devait
approcher de la cinquantaine. Représentons-nous l'apôtre, faisant
seul, comme simple ouvrier, son entrée dans la grande ville.
Sa profession était celle soit de tisserand, soit de tapissier
; le terme de faiseur de tentes (Actes 18:3) comporte les deux significations.
La seconde cependant paraît plus probable.
L'apôtre ne tarda pas à découvrir une famille juive qui exerçait
le même métier que lui ; elle venait d'arriver de Rome, à la suite
d'un édit de l'empereur Claude qui avait frappé d'expulsion les
Juifs de cette capitale. Il se joignit à elle et, tout en partageant
son travail, la gagna à sa foi.
On a prétendu qu'Aquilas et Priscille étaient déjà croyants à leur
arrivée. Cette supposition est contraire aux termes du récit (un
certain Juif nommé Aquilas) ; elle n'a d'autre but que de
fournir un appui à l'idée de l'existence d'une église judéo-chrétienne,
à cette époque, parmi les Juifs de Rome.
Le récit des Actes nous montre l'apôtre commençant son œuvre à
Corinthe au sein de la colonie juive. On a récemment rejeté ce récit
dans le domaine de la fable.
Heinrici, Erklärung der Corintherbriefe,
1880, I, page 7 et suivants ; Holsten, (das Evangelium des Paulus,
1881, I, page 186).
Par quelles raisons ? Paul, dit Heinrici, n'eût pas été
assez imprudent pour braver inutilement par sa prédication évangélique
les colères de la synagogue dont il connaissait les préjugés insurmontables.
Mais, lors même que Paul ne se flattait certainement pas de convertir
tous les membres de la synagogue, il pouvait espérer d'en gagner
au moins quelques-uns des mieux disposés et de trouver en eux le
noyau solide de la société de croyants qu'il désirait former à Corinthe.
Il savait bien que ce n'était pas en vain que Dieu avait préparé
la prédication de l'Evangile dans le monde païen par la dissémination
du peuple d'Israël et que c'était là la porte providentiellement
ouverte à la proclamation de la bonne nouvelle au sein de la Gentilité.
La manière dont la fondation de l'Eglise en général, avait eu lieu
par la prédication des apôtres au sein du peuple juif, avant toute
mission chez les Gentils, était pour lui l'indice de la méthode
à suivre pour la fondation de l'Eglise dans chaque ville païenne
en particulier.
C'est d'après ce principe que Paul avait procédé avec Barnabas
dans la première mission en Asie-Mineure (Actes 13:14 et suivants
; 14:1 et suivants) ; c'est ainsi qu'il avait continué avec Silas
dans la seconde, à Philippes (16:13 et suivants), à Thessalonique
(17:1 et suivants), à Bérée (verset 10 et suivants).
Il déclare positivement lui-même (Romains 1:16 : aux
Juifs d'abord, puis aux Grecs ) que cette manière de faire
n'était point accidentelle, mais qu'elle reposait sur une conviction
réfléchie. Pourquoi n'y serait-il pas resté fidèle à Corinthe ?
Le récit des Actes n'est donc nullement suspect sur ce point, et
si cette prédication initiale dans la synagogue n'y était pas expressément
racontée, nous devrions la supposer.
Holsten élève une autre objection. Si Paul avait débuté
auprès des Juifs de la synagogue, pourquoi aurait-il été intimidé
jusqu'au tremblement, ainsi qu'il le décrit 2:1-5 ? N'était-il pas
habitué à ce genre d'auditeurs ?
Mais l'apôtre, en arrivant à Corinthe, savait bien que, s'il y
arrivait avec l'intention de s'adresser d'abord aux Juifs, il n'y
venait pas uniquement ni même essentiellement pour eux. Il avait
devant lui le spectacle de cette grande capitale grecque et se sentait
chargé seul, du moins pour ces premiers temps, de la responsabilité
du message divin qu'il y apportait.
Il n'ignorait pas que dans la synagogue même il rencontrerait une
élite de prosélytes appartenant à toutes les classes de la société
corinthienne, et que le moment ne tarderait pas où ce serait auprès
de ces derniers spécialement et de la population grecque tout entière,
qu'il devrait s'acquitter de son message.
C'était la première fois qu'il se trouvait dans une semblable position,
si nous exceptons l'exemple de sa prédication d'Athènes dont le
résultat n'était pas propre à l'encourager.
En face de semblables auditoires, il n'avait plus le point d'appui
que lui prêtaient auprès des Juifs la loi et la prophétie ; et d'autre
part il était résolu à ne pas recourir aux moyens d'action généralement
employés dans les conférences publiques, l'éclat de l'art oratoire,
l'habileté dialectique, la profondeur spéculative.
Il ne lui restait qu'une force, et son plus grand acte de foi fut
de n'en pas vouloir d'autre, le simple témoignage rendu à Christ
et à sa croix ; le fait divin lui-même exposé sans art et, s'il
est permis de parler ainsi, dans sa nudité.
Si l'on se met à la place de l'apôtre en ce moment de sa carrière,
on comprend le sentiment d'impuissance et d'anxiété qui l'accablait
aux débuts de son ministère dans cette ville. Bien loin qu'il y
ait là rien de propre à nous faire douter de la circonspection avec
laquelle il procéda en s'adressant premièrement aux Juifs, on peut
dire que cette marche prudente lui était imposée par l'anxiété même
qu'il ressentait.
Paul prêcha donc pendant quelques semaines dans la synagogue. Mais
bientôt, voyant l'exaspération de ses adversaires juifs s'accroître
au point qu'il ne lui était plus possible de travailler utilement
dans ce milieu, il s'établit avec les croyants, Juifs et prosélytes,
dans une maison voisine appartenant à l'un des convertis juifs,
et dès ce moment il prêcha surtout aux païens, ne parant le salut
en Christ ni des charmes de l'éloquence, ni de l'attrait de la sagesse
humaine, de sorte que si sa prédication exerça une puissante influence,
ce fut uniquement par l'action divine qui l'accompagna et, comme
le dit l'apôtre, par la démonstration d'Esprit et de puissance.
Les cœurs sérieusement disposés furent profondément saisis, réellement
gagnés. Une Eglise formée d'un certain nombre de Juifs et d'une
grande multitude, de païens surgit au milieu de cette ville
d'affaires et de débauche. La majorité de ses membres n'appartenait
point aux classes élevées, riches, cultivées (1Corinthiens 1:26-28)
; c'étaient pour la plupart des pauvres, des esclaves, des gens
méprisés pour leur ignorance et leur basse condition sociale.
Mais l'œuvre n'en était que plus solide ; il ne s'y mêlait pas
d'alliage humain. C'étaient là autant de consciences brisées que
la vertu de Dieu avait guéries et restaurées.
Pendant près de deux ans (Actes 17:11-18), Paul continua à ensemencer
ce sol fécond, vivant du travail de ses mains, parfois aussi des
secours que lui envoyaient les églises récemment fondées en Macédoine
(2Corinthiens 11:7-9 ; 12:13-15).
Le proconsul d'Achaïe résidait à Corinthe ; c'était alors Gallion,
le frère du philosophe Sénèque. Ce personnage est connu par sa correspondance
avec son frère ; c'était un homme équitable et plein d'urbanité.
Il se montra tel envers saint Paul lorsque celui-ci fut traîné par
les Juifs devant son tribunal. Ainsi s'acheva en paix ce premier
séjour de Paul à Corinthe.
Paul quitta cette ville vers la Pentecôte de l'an 54 pour se rendre
à Jérusalem, et de là à Antioche, où il ne comptait faire qu'un
court séjour. Ses plans d'avenir étaient formés. Entre les deux
domaines qu'il avait défrichés dans ses deux premiers voyages se
trouvait la portion occidentale de l'Asie-Mineure, la riche et intéressante
contrée de l'ancienne Ionie, appelée alors province d'Asie, avec
Ephèse pour capitale ; c'était là qu'il se sentait appelé à travailler
maintenant.
A son départ de Corinthe, il fut accompagné d'Aquilas et de Priscille
qui devaient l'attendre à Ephèse et lui préparer la voie dans ce
nouveau champ de travail.
Nous n'avons pas à discuter longuement l'authenticité de la première
aux Corinthiens, contre laquelle il ne s'est jamais élevé d'objection
sérieuse. La composition de cet écrit par saint Paul ressort avec
une grande évidence de la lettre elle-même ; et d'abord du témoignage
de son auteur (1:1), ainsi que de la manière dont il parle de lui-même
comme fondateur de l'Eglise (4:15 et ailleurs).
En confirmation de ce témoignage, Schleiermacher a fait
ressortir la relation entre les détails historiques de notre épître
et ceux que renferme le livre des Actes.
Quand on compare, dit ce théologien,
plusieurs passages des Actes (chapitres 18 à 20) avec les détails
personnels qui commencent et terminent les deux épîtres aux Corinthiens,
tout s'emboîte, tout se complète parfaitement, et cela néanmoins
de telle sorte que chacun des documents suit sa propre marche et
que les données renfermées dans l'un ne sauraient être empruntées
à celles de l'autre.
Einleitung in das NT page 148
Mais ces coïncidences de détail sont une preuve moins frappante
encore que ne l'est le tableau si vivant et si actuel que ces lettres
nous présentent de l'état d'une Eglise chrétienne primitive. Voici
sur ce point l'impression de Baur :
Notre première épître porte le sceau de son
authenticité en elle-même ; car, plus qu'aucun autre écrit du Nouveau
Testament, elle nous transporte dans le vivant milieu d'une Eglise
chrétienne en formation et nous procure l'intuition des circonstances
qu'avait à traverser le développement de la vie nouvelle évoquée
par le christianisme.
Baur, Dcr Apostel Paulus, I page 260
Beet (Commentaire) fait aussi ressortir avec force la preuve
d'authenticité renfermée dans les reproches si sévères et si humiliants
adressés à l'Eglise de Corinthe dans ces deux lettres. Aucune Eglise
n'aurait accepté et conservé si aisément et sans une rigoureuse
enquête le monument de sa dégradation.
Ces indices internes sont confirmés par le témoignage de la tradition
Déjà vers la fin du premier siècle, Clément de Rome dans
sa lettre aux Corinthiens cite plusieurs fois notre épître. Le passage
du chapitre 47 est particulièrement remarquable :
Reprenez l'épître du bienheureux apôtre Paul
: que vous a-t-il écrit dès le début, au commencement de la prédication
de l'Evangile ? En vérité, il vous a donné des directions spirituelles
tant sur lui-même que sur Céphas et Apollos, parce que déjà alors
vous vous livriez à des préférences.
Il ne nous paraît pas douteux que lorsqu'Ignace dans l'épître
aux Ephésiens, chapitre 18, appelle la croix un
scandale pour les infidèles, et s'écrie : Où
est le sage, où est le discuteur ? il ne reproduise les termes
de notre épître.
Il en est de même de Polycarpe dans son épître aux Philippiens,
chapitre 5 : l'énumération qu'il fait des vicieux exactement parallèle
à celle de 1Corinthiens 6:9-10, et il la termine aussi en déclarant
que de pareils croyants n'hériteront point le
royaume de Dieu.
Dans l'homélie vulgairement appelée seconde épître de Clément et
qui doit avoir été écrite en Grèce entre 120 et 140, nous trouvons
ces mots tirés du premier chapitre de notre épître : Il
a voulu nous faire être de ce qui n'est pas.
Il serait inutile de poursuivre en détail cette liste de témoignages.
Nous aurions à mentionner vraisemblablement Justin Martyr, Dialogue,
chapitre 14 (le vieux levain et les
pains sans levain ; comparez 1Corinthiens 5:8) et chapitre
3 (Christ notre Pâque) ; plus certainement
l'épître à Diognète, remplie de pensées puisées dans notre
épître ; probablement aussi la Didaché des douze apôtres (entre
120 et 160), où l'on croit trouver quelques allusions à 1Corinthiens
(Gebhardt, Edwards) ; très sûrement le Fragment de Muratori
; Athénagore, Théophile ; enfin Irénée, Clément d'Alexandrin
et Tertullien.
Je renvoie les lecteurs qui désirent se renseigner plus exactement
sur ce point, à Charteris, Canonicity, pages 222-229.
Ce qui nous importe actuellement, c'est de fixer, dans la vie de
l'apôtre, le moment et le lieu où il composa cette lettre ; et cette
tâche n'est pas difficile. Le lien de la composition ne peut être
qu'Ephèse. Je reste, dit l'apôtre,
à Ephèse jusqu'à la Pentecôte ; car une grande porte m'y est ouverte
(16: 8-9).
On ne comprend pas au premier coup d'œil comment, en face d'un
texte aussi positif, la souscription de l'épître dans un certain
nombre de manuscrits, ainsi que dans plusieurs de nos traductions,
peut être formulée ainsi : La première aux Corinthiens
a été écrite de Philippes.
Il est probable que cette donnée provient de la lecture inintelligente
et superficielle de 16:5 : Car je passe par
la Macédoine. On n'a pas compris que ce présent : je passe,
se rapportait non à un fait actuel, mais au plan de voyage de l'apôtre.
Il était aisé de voir cependant que, si Paul était déjà en Macédoine,
il devrait saluer de la part des Eglises de cette province, et non
de la part de celles d'Asie, comme il le fait au verset 19.
Dans ce même verset se trouve également la salutation d'Aquilas
et de Priscille qui, comme nous l'avons vu, étaient venus avec Paul
se fixer à Ephèse. La souscription dans le Vaticanus est exacte
: a été écrite d'Ephèse.
Le séjour complet de Paul à Ephèse a duré trois ans environ (Actes
20:31). Il importe de savoir à quel moment de ce séjour il faut
placer la composition de notre lettre. Nous possédons sur ce point
plusieurs indices suffisamment clairs :
1° La parole que nous venons de citer prouve que le séjour
de Paul en Asie approchait de sa fin.
2° Au moment où Paul rédigeait cette lettre, il avait auprès
de lui Apollos revenu de Corinthe (16:12).
Or ce docteur alexandrin, converti à Ephèse par Aquilas et Priscille
peu après leur arrivée dans cette ville et avant celle de Paul (Actes
18:24-26), s'était rendu de là en Achaïe avec une recommandation
d'Aquilas pour y continuer le travail de Paul et y avait exercé
un ministère très influent ; après quoi il était revenu à Ephèse.
Tout cela suppose un temps assez considérable écoulé depuis l'arrivée
de Paul à Ephèse et nous conduit également à un temps avancé de
son séjour dans cette ville.
3° Nous lisons Actes 19:21 qu'après deux ans et trois mois
de travail à Ephèse (versets 8 et 10) Paul forma en son cœur de
vastes desseins.
Il s'agissait pour lui de dire un adieu définitif à l'Orient et
de consacrer le reste de sa vie à l'Occident. Mais avant de se rendre
à Rome, il tenait à visiter encore une fois Jérusalem et à offrir
à l'Eglise de cette ville un témoignage solennel d'amour et de communion
spirituelle de la part de toutes les Eglises fondées par lui chez
les Gentils.
Il se décida donc, d'après Actes 19:22, à envoyer d'Ephèse Timothée
et Eraste pour préparer en Macédoine et en Achaïe l'exécution de
ce projet. Or cet envoi de Timothée à Corinthe coïncide parfaitement
avec celui dont il est parlé deux fois dans notre première épître
(4:17 ; 16:10).
Il eut lieu au moment où l'apôtre composait celle-ci et peu avant
son expédition, puisque Paul y annonce l'envoi de son jeune collaborateur
comme un fait déjà accompli.
4° Cette grande collecte que devait préparer Timothée et
dont il est parlé expressément 16: l et 2Corinthiens 8 et 9, ne
peut être que celle par laquelle l'apôtre termina son ministère
en Orient et dont il parle dans les deux passages Romains 15:24-33
et Actes 24:17.
C'est là un nouvel indice qui nous conduit encore à la même date.
Comme il est impossible par toutes ces raisons de supposer une date
antérieure aux circonstances indiquées, il ne l'est pas moins d'en
supposer une plus tardive. En effet, au moment où écrit l'apôtre,
il dispose encore librement de sa personne. Mais on sait que peu
après, à la suite de la remise de la somme collectée entre les mains
des chefs du troupeau de Jérusalem, il fut jeté en prison et que
dès ce moment il resta captif pendant une longue suite d'années.
Si le séjour de Paul en Asie au moment où fut écrite notre lettre
avait duré environ deux ans et trois mois (Actes 19:8 et 10), à
dater de la fin de l'an 54 où Paul arriva à Ephèse, elle a donc
été composée au printemps de l'an 57, avant la Pentecôte de cette
année, probablement à l'époque de la fête de Pâques à laquelle paraît
faire allusion le passage 5:7 et 8.
Nous verrons plus tard comment s'explique l'indication d'Actes
20:31, d'après laquelle le séjour d'Ephèse a duré trois ans entiers.
Nous avons à énumérer ici une série de faits qu'il est indispensable
de connaître pour bien comprendre notre épître, mais au sujet desquels
nous ne sommes renseignés en grande partie que par cette épître
elle-même.
C'est l'un des exemples les plus frappants de l'influence légitime
qu'ont à exercer l'une sur l'autre l'exégèse et la critique.
1. Le premier fait à nous connu
qui modifia l'état de l'Eglise de Corinthe après le départ de son
fondateur, fut le ministère du docteur alexandrin Apollos. Nous
possédons deux témoignages de l'action exercée à Corinthe par ce
prédicateur éloquent ; d'abord les quatre premiers chapitres de
notre épître, puis la fin du 18 ième chapitre des Actes :
Il contribua beaucoup par la grâce, est-il
dit dans ce dernier passage, à l'avancement
de ceux qui avaient cru ; car il discutait puissamment avec les
Juifs en public, démontrant par les Ecritures que Jésus était le
Christ.
De ce passage il résulte que le ministère d'Apollos dut amener
un double changement dans l'état de l'Eglise. Homme puissant dans
l'interprétation des Ecritures, Apollos gagna à l'Evangile un très
grand nombre de Juifs, évidemment d'entre ceux qui avaient résisté
à l'action de saint Paul.
La proportion entre les deux éléments dont se composait la jeune
Eglise se trouva ainsi modifiée au profit de l'élément juif. Il
est probable, de plus, qu'en même temps que la minorité juive s'accrut
par le travail d'Apollos, un certain nombre de païens appartenant
à la classe lettrée furent attirés par le talent oratoire et les
dons brillants du jeune docteur.
Seulement il est naturel de supposer que la conversion de ces nouveaux
venus ne provenait pas d'un travail de conscience aussi profond
que celui qui avait amené au baptême la plupart des anciens convertis.
Les besoins de l'intelligence et de l'imagination eurent dans bien
des cas plus de part à leur adhésion que ceux du cœur et de la conscience
2. Outre la visite d'Apollos,
faut-il admettre l'arrivée à Corinthe d'un personnage plus important
encore, de l'apôtre Pierre ?
Dans le passage 1:12, il fait mention d'un parti de Céphas qui
est placé après celui d'Apollos. Serait-ce là un indice d'un séjour
de cet apôtre en Achaïe à cette époque ? Un pareil fait semble peu
probable.
En l'année 54 nous trouvons Pierre à Antioche (Galates 2). Sans
doute, dans le cours des trois années qui suivirent jusqu'au printemps
de l'an 57, il put bien se rendre de Syrie en Achaïe. Mais rien
ne fait supposer que Pierre se soit déjà alors tourné vers l'Occident
; et il serait difficile de comprendre comment notre épître, qui
porte des traces si évidentes du séjour d'Apollos à Corinthe, n'en
offrirait pas de plus marquées encore du passage de Pierre.
Cependant, tout en faisant abstraction d'une visite personnelle
de Pierre à Corinthe, nous ne pouvons méconnaître dans l'expression
que nous venons de signaler, l'indice d'un fait grave dans le développement
de la jeune Eglise : une influence sensible du christianisme palestinien
doit certainement s'être exercée à ce moment-là dans l'Eglise de
Corinthe. Dans quelle direction ? C'est ce que nous verrons plus
tard.
3. Nous sommes forcés d'admettre
en même temps une recrudescence fâcheuse des anciennes habitudes
païennes avec lesquelles les nouveaux convertis avaient d'abord
complètement rompu.
Le sérieux puissant de la prédication de saint Paul avait dans
les premiers temps dominé l'Eglise et refoulé les penchants vicieux
sous l'empire desquels avaient jadis vécu la plupart des nouveaux
chrétiens (1Corinthiens 6:11). Mais à mesure que les impressions
premières s'affaiblirent et que la communauté reçut de nouveaux
membres moins profondément remués et transformés, la légèreté grecque
se réveilla et menaça œuvre divine.
Nous avons même des indices de l'abus fait par plusieurs du principe
de la liberté spirituelle que proclamait saint Paul (6:12 ; 10:23).
Les membres vraiment sanctifiés de l'Eglise durent alors se demander
ce qu'ils avaient à faire à l'égard de ceux qui retombaient ainsi
dans leur ancienne manière de vivre.
La question fut posée à l'apôtre. Celui-ci y répondit dans une
lettre antérieure à nos deux épîtres canoniques ; comparez 1Corinthiens
5:9.
Il demandait qu'on ne se mêlât pas avec de
tels hommes, c'est-à-dire, qu'en rompant toute relation privée
avec les membres vicieux, l'Eglise protestât contre cette profession
mensongère de la foi chrétienne et montrât hautement qu'elle ne
la reconnaissait point comme sérieuse.
4. Cette lettre de Paul fut suivie
d'une réponse des Corinthiens à l'apôtre. Ils objectaient que, si
l'on devait rompre ainsi avec tous les vicieux, il ne restait plus
qu'à sortir du monde (5:10).
Ils l'interrogeaient aussi sur quelques sujets nouveaux, tels que
la préférence à donner au célibat sur le mariage, et le libre usage
des viandes qui avaient figuré sur l'autel des idoles.
Quant au premier de ces sujets, Paul l'introduit expressément par
ces mots : A l'égard des choses dont vous
m'avez écrit (7:1). Et il est probable que quand il introduit
le second en disant, 8:1 : En ce qui concerne
les viandes sacrifiées, il passe à un autre point traité
aussi dans leur lettre.
Comme nous retrouvons la même forme 12:1, lorsque l'apôtre en vient
à traiter les questions relatives à l'usage des dons spirituels,
il est également vraisemblable qu'il reprend encore ici un sujet
sur lequel ils l'avaient interrogé. Il y avait donc eu, depuis la
fondation de l'Eglise, une correspondance assez active entre elle
et l'apôtre.
Les deux lettres retrouvées dans l'Eglise arménienne
et dont Rinck a défendu l'authenticité, ne pourraient, même
si elles étaient de Paul, être celles dont nous constatons ici la
perte. Rinck le reconnaît lui-même, car elles traitent de tout autres
sujets que ceux qui sont supposés par notre épître. Et dans ces
lettres, ce sont les Corinthiens qui écrivent 1es premiers et c'est
Paul qui répond. Mais leur authenticité est de plus complètement
insoutenable. Ce sont de simples collections de paroles pauliniennes,
sans liaison logique ; et la citation qu'en a faite Grégoire l'Illuminateur,
au quatrième siècle, ne saurait évidemment en garantir la composition
apostolique.
5. Outre cette réponse des Corinthiens
à Paul, trois délégués de l'Eglise étaient arrivés auprès de l'apôtre.
Ils sont désignés par leurs noms et qualifiés de la manière la plus
honorable (16:15-18).
Etaient-ils les porteurs de la lettre de l'Eglise ou arrivèrent-ils
plus tard sous l'empire de circonstances nouvelles et plus délicates
? Nous l'ignorons. Mais une telle démarche prouve en tout cas la
gravité de la situation, déjà à ce moment-là.
Nous ne pensons pas que, comme le dit la souscription de notre
épître et comme on le répète fréquemment, ce soient ces députés
qui, à leur retour, aient été les porteurs de la première aux Corinthiens.
Le passage 16:11 : Je l'attends (Timothée)
avec les frères, me paraît prouver qu'ils étaient encore
à Ephèse auprès de l'apôtre, quand partit cette lettre qui devait
arriver à temps pour recommander Timothée au bon accueil des Corinthiens.
6. En effet, Timothée était alors
en route pour la Macédoine d'abord, puis pour Corinthe, chargé d'une
mission importante de Paul. Il devait appuyer par son influence
personnelle l'effet que Paul désirait produire par notre première
épître (4:17), et puis sans doute préparer l'exécution de la collecte
projetée en faveur de l'Eglise de Jérusalem (1Corinthiens 16:1).
Quoique Timothée fût parti avant la lettre, celle-ci devait arriver
avant lui, parce qu'elle était envoyée directement par mer, tandis
que Timothée faisait le tour par la Macédoine.
7. A ces diverses circonstances,
il faut en ajouter une tout à fait accidentelle, mais qui a eu peut-être
l'influence la plus considérable sur la lettre que nous devons étudier.
Une dame, nommée Chloé, arriva à Ephèse de Corinthe où elle avait
séjourné (1:11). Nous ignorons si, étant elle-même de Corinthe,
elle avait fait un voyage à Ephèse, ou si Ephésienne d'origine,
elle revenait d'une visite à Corinthe. Les gens de sa maison, soit
ses fils, soit ses esclaves, firent part à Paul d'une circonstance
qui dut le toucher vivement.
L'Eglise était divisée en partis qui se heurtaient dans les assemblées
générales.
On entendait retentir des paroles telles que celles-ci : Moi,
je suis de Paul ; ainsi parlaient sans doute les plus anciens
convertis, ceux qui avaient ressenti plus profondément la sainte
efficace de l'Evangile ; ou bien : Mais moi,
je suis d'Apollos ; c'était le mot d'ordre de ceux qu'avaient
gagnés les démonstrations éloquentes et habiles de ce docteur ;
puis encore : Mais moi, je suis de Céphas
; ceux-ci étaient surtout, sans doute, des chrétiens d'origine juive
qui avaient entendu parler de Pierre ou qui l'avaient rencontré
lui-même dans leurs voyages de fêtes à Jérusalem. Ils estimaient
assez naturellement que la première place dans l'Eglise appartenait
au chef du collège apostolique choisi par Jésus, et que, s'il y
avait quelque différence entre Paul et lui, c'était lui qu'il fallait
suivre.
D'autres enfin, secouant hardiment toute autorité apostolique,
celle de Pierre, paraît-il, non moins que celle de Paul, répliquaient
à tous les autres : Mais moi, je suis de Christ,
comme pour dire : Je ne reconnais pas d'intermédiaire entre
le Seigneur et moi ; je prétends dépendre directement de lui et
de lui seul .
On se demande qui pouvaient être ces derniers et comment un tel
parti avait pu surgir à Corinthe. Etaient-ce des chrétiens d'origine
païenne qui, admirant les enseignements du Christ, pensaient qu'il
fallait les dégager des formes judaïques dans lesquelles les enveloppaient
les apôtres et, jusqu'à un certain point encore, Paul lui-même ?
Ou bien étaient-ce des chrétiens d'origine et de tendance judaïques,
qui, repoussant l'évangile de Paul, condamnaient les concessions
que les Douze croyaient devoir faire à cet apôtre, et cela en alléguant
contre ces derniers l'exemple et les paroles du Christ ? C'est là
une question que nous ne pouvons examiner ici et que nous traiterons
dans le commentaire à l'occasion de 1:12.
Saint Paul a dit quelque part : Quelqu'un est-il
scandalisé, que je n'en sois aussi comme brûlé ? S'il en
était ainsi quand il s'agissait d'un simple croyant scandalisé,
que dut-il éprouver en apprenant que l'une des plus florissantes
Eglises qu'il lui eût été donné de fonder était comme menacée de
dissolution ?
Nous avons maintenant sous les yeux l'ensemble des circonstances
qui avaient rempli le temps écoulé depuis que saint Paul avait quitté
Corinthe, et nous pouvons nous faire une idée des préoccupations
multiples qui remplissaient son cœur au moment où il se mit à dicter
notre première épître, à proprement parler sa seconde, à cette Eglise.
Il nous reste à examiner ici en peu de mots une question fort discutée
dans ces derniers temps et sur laquelle les plus récents travaux
ne sont point d'accord.
De plusieurs passages de la seconde aux Corinthiens, il
paraît résulter que l'apôtre avait été deux fois à Corinthe avant
le moment où il écrivit cette lettre. Ces passages sont surtout
les quatre suivants : 2:1 ; 12:14 ; 12:21 et 13:1-2.
En effet, dans les trois derniers Paul semble dire que sa prochaine
visite à Corinthe sera la troisième, et du premier il paraît ressortir
que la seconde avait été si pénible pour lui, qu'il n'avait pas
voulu s'exposer jusqu'ici à en faire une nouvelle dans des circonstances
pareilles.
Or rien dans tout ce que nous avons vu ne peut nous faire supposer
que Paul fût retourné à Corinthe depuis son premier séjour, dans
lequel il avait fondé l'Eglise. Il y a trois manières de traiter
ces passages.
Ou bien on peut y voir, comme le font Baur, Hilgenfeld, Renan
et d'autres, non pas tant l'indication de séjours réels que celle
de projets de visite que l'apôtre avait formés, mais qu'il n'avait
pu exécuter.
Renan, Saint Paul, page 451, note ; comparez
aussi M. Farrar, Vie et œuvre de saint Paul, II, page 101,
note 2 ; Edwards, page 14.
Mais il est impossible à ce point de vue de se rendre compte des
deux paroles 12:14 et 11:1. On traduit ainsi la première : Voici
la troisième fois que je me prépare à venir chez vous ; au
lieu de : Voici, je me prépare à venir chez
vous pour la troisième fois.
Mais on oublie que l'apôtre déclare ici sa ferme résolution de
ne pas se laisser entretenir par l'Eglise durant son séjour prochain
; car il ajoute : et je ne vous serai point
à charge. Or il résulte de là que le pour
la troisième fois implique deux séjours antérieurs, non seulement
annoncés, mais réels. Car un séjour projeté ne coûte rien.
Le passage 11:1 confirme cette conclusion. On explique ces mots
: J'ai résolu de ne pas venir de nouveau chez
vous dans la douleur, dans ce sens : J'ai résolu que mon
second séjour, que je vais faire chez vous, ne sera pas un séjour
pénible et douloureux . Ce sens est compatible avec la forme
du texte reçu ; mais celui-ci a contre lui l'autorité de tous les
Majuscules.
D'après la vraie position des mots : dans la
douleur, ce régime porte non seulement sur l'idée de venir,
mais sur la locution tout entière : venir de
nouveau chez vous. Il résulte donc de cette parole que Paul
avait déjà fait chez eux un séjour douloureux, ce qui ne
peut se rapporter au séjour dans lequel il avait fondé l'Eglise
et implique par conséquent une seconde visite qui avait eu lieu
dès lors.
M. Farrar pense avec Chrysostome que l'expression
ainsi comprise pourrait aussi se rapporter à un séjour purement
hypothétique séjour qui, s'il avait eu lieu, aurait eu un
caractère douloureux (II page 101, note 3). Mais l'autorité de Chrysostome
ne suffit pas pour rendre probable une interprétation aussi forcée.
Si donc l'apôtre avait certainement séjourné deux fois à Corinthe
avant d'écrire notre seconde épître à cette Eglise, la question
est de savoir si ce séjour doit être placé avant ou après notre
première aux Corinthiens.
A la suite de Bleek, qui, le premier, a traité à fond cette
question, un grand nombre d'écrivains ont placé ce second voyage
avant notre première épître. Studien und Kritken,
1830.
Les uns, comme Anger, y ont vu uniquement la seconde partie
du séjour de fondation qui aurait été partagé en deux par une excursion
au nord de la Grèce. D'autres, comme Reuss, supposent que,
pendant son long séjour à Ephèse, Paul aurait fait une rapide visite
en Grèce et spécialement à Corinthe.
Mais la première de ces explications ne répond point à l'expression
venir, qui indique une arrivée proprement dite, et non un
retour après une simple excursion. Quant à la seconde, comment,
demande avec raison Hilgenfeld, les adversaires de Paul à
Corinthe auraient-ils pu dire qu'il renvoyait toujours son arrivée
parce qu'il n'osait pas revenir dans cette Eglise (1Corinthiens
4:18), s'il l'avait visitée tout récemment ?
Reuss s'appuie sur 1Corinthiens 16:7 : Je ne
veux pas maintenant vous voir en passant ; parole qui, selon
lui, implique qu'il avait fait récemment chez eux un court séjour.
Mais cette conclusion tirée du mot maintenant n'est pas fondée.
Paul veut simplement dire : Les circonstances sont telles en ce
moment que je ne veux pas vous voir seulement en passant : ce qui
ne suppose nullement qu'une courte visite eût précédé.
Par cette observation Paul veut expliquer un changement dans le
plan de voyage qu'il avait annoncé précédemment, d'après lequel
il s'était proposé de visiter rapidement Corinthe, en allant en
Macédoine, et de revenir ensuite pour plus longtemps de Macédoine
à Corinthe. Il renonce maintenant à agir ainsi ; il visite d'abord
la Macédoine et c'est de là qu'il se rendra chez eux pour y rester.
Il est surtout un fait qui empêche de placer la seconde visite
de Paul à Corinthe avant la première aux Corinthiens. Dans cette
lettre, Paul ne fait pas une seule allusion à un second séjour au
sein de cette Eglise, tandis qu'il rappelle fréquemment les circonstances
du séjour de fondation (1:14-17 ; 26 et suivants ; 2:1 et suivants
; 3:1 et suivants ; 3:10-11 ; 4:15 ; 15:1-2). Cela ne serait pas
possible s'il eût visité de nouveau les Corinthiens dans le temps
qui avait précédé cette épître.
En échange, c'est dans la seconde épître que se trouvent toutes
les allusions au séjour dont nous parlons. Il faut donc le placer,
comme l'ont pensé Ewald et Eylau, dans un remarquable
programme, entre la composition de nos deux épîtres canoniques.
Programm des gymnasiums zu Landsberg, a.d.
W. 1873 : Zur Chronologie der Corintherbriefe, v. Dr Gustav
Otto Eylau.
En général, je pense avec ce dernier que l'intervalle entre la
première et la seconde aux Corinthiens doit avoir été beaucoup plus
considérable et plus rempli qu'on ne l'admet généralement. Bleek
a prouvé, dans l'article cité plus haut, que plusieurs passages
de la seconde épître supposent non seulement un second séjour de
Paul à Corinthe, mais même une épître aujourd'hui perdue qui doit
se placer entre notre première et notre seconde aux Corinthiens.
Si ce second fait est admis comme il me paraît qu'il doit l'être,
l'histoire des relations entre Paul et l'Eglise à cette époque se
complique nécessairement et doit être complétée par des faits graves
et nombreux dans l'exposé desquels nous ne saurions entrer ici et
qui expliquent l'expression étrange de trois ans par laquelle
l'apôtre exprime (Actes 20:31) la durée de son séjour à Ephèse.
Nous admettons donc une seconde visite de Paul à Corinthe avant
le séjour qu'il fit dans cette ville durant les trois mois d'hiver,
années 58-59. Mais nous ne devons point ranger ce séjour parmi les
facteurs qui ont influé sur la composition de la première épître,
parce qu'à nos yeux il est postérieur à cette lettre et doit se
placer entre nos deux épîtres.
Dix sujets plus ou moins étendus et très hétérogènes étaient présents
à l'esprit de l'apôtre quand il se mit à composer cet écrit ; et
la question qui s'élève est celle-ci : Se bornera-t-il à passer
de l'un à l'autre par voie de juxtaposition ou trouvera-t-il le
moyen de les lier entre eux par une gradation logique ou morale,
de manière à laisser dans l'esprit du lecteur une impression d'ordre
et d'unité ?
En d'autres termes, la première aux Corinthiens sera-t-elle un
monceau ou un édifice ? Dans cette lettre même, saint Paul se compare
à un architecte qui a posé sagement le fondement de l'Eglise. Nous
allons voir que, quoiqu'en pense M. Rcnan, il s'est montré tel aussi
dans la composition de l'épître qu'il lui a adressée.
Ce qui devait lui importer avant tout, c'était de mettre un terme
aux divisions qui régnaient dans l'Eglise. Pour être écouté de tous
dans les sujets divers qu'il avait à traiter, il devait d'abord
avoir reconquis sa position d'autorité auprès de la congrégation
tout entière. C'est pourquoi le sujet auquel il assigne la première
place est celui des partis qui se sont formés à Corinthe.
Il commence par sonder la nature de l'Evangile ; il expose ensuite
celle du ministère, et enfin il formule la vraie relation entre
l'Eglise et ses docteurs, et sape ainsi le mal par la racine.
Cette question appartient au domaine ecclésiastique ; il passe
de là aux sujets qui rentrent dans le domaine moral, et cela en
commençant par une question qui tient encore en quelque manière
à l'organisation de l'Eglise, celle de l'action que la communauté
doit exercer sur ceux de ses membres qui, par une conduite scandaleuse,
déshonorent la profession chrétienne.
Suivent quatre questions d'ordre purement moral ; d'abord ces deux
qui sont aisément tranchées par l'esprit même de l'Evangile : celle
des procès entre chrétiens, portés devant les tribunaux païens,
et celle du vice de l'impureté, puis deux autres, dont la tractation
est plus difficile, parce qu'elle se complique du rôle que joue
dans ces matières le fait de la liberté chrétienne : ce sont celle
de la préférence à accorder au célibat sur le mariage et celle de
l'usage des viandes qui ont été offertes aux idoles.
Aussi la solution de ces deux dernières questions donne-t-elle
lieu à des discussions étendues et à des distinctions très délicates.
A la suite de ces matières de nature morale, l'apôtre place celles
qui se rapportent à la vie religieuse et à la célébration du culte.
Il rencontre ici trois sujets.
Le premier, dans lequel l'élément de la liberté chrétienne joue
encore un certain rôle, est celui de la tenue des femmes dans les
assemblées.
L'apôtre s'occupe ensuite de la manière dont les fidèles doivent
se conduire dans l'agape qui précède la cérémonie de la Cène.
Enfin il traite avec un soin particulier le sujet le plus difficile
et le plus délicat ; la meilleure manière d'user des dons spirituels,
répandus à Corinthe avec une abondance particulière, spécialement
du don des langues et de celui de prophétie.
Nous remarquons jusqu'ici dans la marche de la lettre une tendance
à aller de l'extérieur à l'intérieur ; Paul arrive en terminant
à ce qu'il y a de plus profond, de plus décisif, de plus vital pour
l'Eglise, au domaine de la doctrine. Car, comme la plante n'est
que la sève incarnée, l'Eglise et le chrétien ne sont que l'enseignement
évangélique réalisé.
L'apôtre traite ici de la résurrection des corps, que quelques-uns
niaient à Corinthe, et il montre la relation de ce point de doctrine,
en apparence si secondaire, avec tout l'ensemble du salut chrétien
et de la victoire remportée par Christ sur le mal au sein de l'humanité.
Les matières traitées sont ainsi classées, malgré leur profonde
diversité, en quatre groupes naturels, et ces groupes se trouvent
rationnellement gradués :
1. Une question ecclésiastique : de 1:10 à chapitre
4 inclus
2. Cinq questions morales ; en tête celle de la discipline
qui touche encore au côté ecclésiastique : chapitres 5 à 10
3. Trois questions liturgiques ou relatives au culte
: chapitres 11 à 14
4. Une question doctrinale : chapitre 15
Le morceau 1:1-9, forme le préambule ; comme d'ordinaire, celui-ci
comprend l'adresse et une action de grâces. Le chapitre 16 est une
conclusion semblable à celle par laquelle Paul termine chacune de
ses épîtres, renfermant commissions, nouvelles et salutations.
Jugera-t-on avec M. Renan que saint Paul était
incapable de méthode et qu'il ne possédait
pas la patience nécessaire pour faire un livre ? Jamais,
nous paraît-il, édifice intellectuel ne fut conçu et exécuté plus
admirablement que la première épître aux Corinthiens, quoique avec
les matériaux les plus variés.
On s'est demandé où l'apôtre avait puisé les moyens de résoudre
tous ces problèmes didactiques et pratiques que lui posait en ce
moment l'état de l'Eglise, et l'on a répondu :
Dans la conception qui forme le pivot de toute sa théologie, celle
de l'union mystique entre Christ et le croyant. (Edwards,
page 22).
Nous croyons que cette réponse satisferait plutôt certains commentateurs
modernes de Paul que Paul lui-même. L'esprit clair et positif de
l'apôtre répugne à tout ce qui est vague et nuageux. A la base de
chaque sentiment, il y a toujours chez lui une idée précise, et
cette idée est toujours la représentation intérieure d'un fait positif.
Le Christ crucifié, que l'apôtre met à la base de notre épître
(chapitre 1), et le Christ ressuscité, dont il fait le couronnement
de sa lettre (chapitre 15), voilà le double trésor où il puise dans
tout le cours de l'écrit les solutions dont il a besoin.
C'est en analysant le Christ historique qu'il résout la question
du ministère (1:13 ; 3:23) ; c'est à la force de ce Christ glorifié
qu'il en appelle pour résoudre celle de la discipline (5:4) ; et
ainsi de suite, jusqu'à ce chapitre magnifique où l'étude du Christ
ressuscité lui fournit la solution de tous les problèmes eschatologiques.
Ce n'est donc pas l'union mystique, ce nuage d'où chacun fait sortir
tout ce qu'il lui plaît, c'est le Christ historique toujours vivant,
qui est la base sur laquelle Paul fait reposer l'édifice élevé dans
son écrit.
Disons encore quelques mots des plus importants documents du texte,
ainsi que des travaux les plus récents sur notre épître.
D'entre les 19 manuscrits ou fragments de manuscrits écrits en
lettres majuscules, dans lesquels nous ont été conservées les épîtres
de saint Paul, il y en a 15 qui renferment tout ou partie de la
première aux Corinthiens.
Ce sont :
ALEPH (Sinaïticus) et B (Vaticanus)
; du IV° siècle
A (Alexandrinus) et C (C. d'Ephrem)
; du V° siècle
D (Claromontanus), H (Coislinianus),
I (fragment, à Pétersbourg) ; du VI° siècle
F(a) (deux versets cités comme notes marginales dans H)
; du VII° siècle
E (Sangermanensis), F (Augiensis),
G (Börnerianus), K (Mosquensis), L
(Angelicus), M (fragment, à Londres), P (Porfirianus)
; du IX° siècle
Nous ne parlons ici ni des minuscules, ni des versions ni des citations
des Pères, renvoyant pour ces instruments de la critique aux ouvrages
d'Introduction générale au Nouveau Testament.
Quant aux commentaires, il est inutile de parler des plus anciens
et de ceux d'entre les modernes qui sont universellement connus,
d'autant plus que nous pouvons renvoyer pour ce sujet à l'exposé
vraiment magistral de l'histoire de l'interprétation depuis ses
origines jusqu'à nos jours dans l'Introduction du commentaire de
M. Edwards (pages 25-35).
Parmi les travaux les plus récents, nous mentionnerons seulement
les suivants qui nous ont paru les plus importants :
Hofmann (1874) ; sagace, exact, profond, mais souvent fantaisiste
à l'excès.
Reuss (Les épîtres pauliniennes, 1878) ; l'esprit
et la manière de cet auteur sont connus.
Lang (dans le deuxième volume de la Protestanten-Bibel)
; courtes notes interprétant notre épître d'après les intuitions
de l'école de Baur.
Heinrici (1880). Deux traits distinguent ce commentaire
: la grande abondance de parallèles intéressants tirés des écrivains
classiques, et l'essai de déduire les formes de l'organisation des
Eglises, fondées en Grèce par saint Paul, de la constitution des
associations religieuses, qui fleurissaient alors dans cette contrée
en vue de protéger l'individu contre les souffrances de l'isolement
et de l'indigence (qiasoi, qiaswtai, thiasoi,
thiasôtai) ; comparez dans le commentaire, pages 20-29 et, de plus,
le travail approfondi de l'auteur : Die christliche Gemeinde
und die religiösen Gemeinschaften der Griechen (Zeitschr. für wissensch.
Theol.1876, IV).
Néanmoins cette dernière opinion n'a pas trouvé jusqu'ici un accueil
bien favorable chez les savants qui l'ont discutée (Weizsaecker,
Hilgenfeld, Holsten, Schürer). La formation de la constitution
ecclésiastique chrétienne pourrait plutôt s'expliquer par l'importation
des formes synagogales. Mais elle est évidemment le produit de l'esprit
chrétien lui-même, et dans son développement elle a suivi sa marche
propre. En tout cas, comme l'observe Holsten, l'apôtre n'aurait
pas été demander les formes de l'Eglise de Dieu à des confréries
religieuses célébrant un culte qu'il envisageait comme celui des
démons.
C'est à Jérusalem déjà que nous voyons apparaître les premiers
éléments d'organisation, les anciens et les diacres. C'est dans
les Eglises d'Asie-Mineure, fondées bien avant l'arrivée de Paul
en Grèce, que nous rencontrons la première élection d'anciens sous
la direction de saint Paul (Actes 14:23).
Le baptême, l'agape, la sainte Cène remontent bien plus haut que
le premier contact de l'Evangile avec le monde grec, jusqu'au Seigneur
lui-même. Que la conscience grecque ait fait un rapprochement entre
l'Eglise et ces confréries helléniques, cela est possible, probable
même ; et cela paraît résulter du terme de qiaswtai
(thiasôtai), que Celse applique aux disciples de Christ (Origène,
Contre Celse, III, 22) et du titre de qiasarchs
(thiasarchès) chrétien, que Lucien donne à son Peregrinus.
Comparez Neumann :qiaswtai Ihsou,
dans Jahrbücher für protestantische Theologie, 1885, I.
Mais ce rapprochement, que faisaient naturellement les païens,
n'a rien de commun avec l'influence qu'attribue Heinrici aux formes
des associations helléniques sur la constitution de l'Eglise chrétienne.
Holsten (Das Evangelium des Paulus, Theil I, 1880)
; pénétrant, bref, original, hardi, mais dominé par les prémisses
de l'école de Tubingue. A l'imitation du théologien hollandais Straatmann,
qui a découvert récemment toute une série d'interpolations plus
ou moins graves dans les chapitres 11 à 15 de notre épître, mais
avec plus de mesure et moins de fantaisie, Holsten croit pouvoir
éliminer du texte une foule de prétendues gloses, comme si les documents
apostoliques n'avaient pas été conservés avec le plus grand soin
dans les églises et avaient été abandonnés à la merci du premier
venu !
Beet (1883). Ce commentateur anglais est connu par son travail
sur l'épître aux Romains. Il me paraît posséder à un haut degré
le don d'exposer d'une manière simple, claire et judicieuse le cours
des idées de l'apôtre.
Edwards (1885). L'auteur de ce commentaire le plus récent,
est Principal d'un collège universitaire dans le pays de Galles
; il possède une culture philologique éminente. L'esprit et la valeur
de son exégèse ressortiront des citations que nous ne manquerons
pas de faire de cet ouvrage important.
Le titre se présente sous la forme la plus simple dans les documents
datant des IV°, V° et VI° siècles. (ALEPH, B, A, C, D) :
pros Korinqious h prwth, aux Corinthiens
la première.
Plus tard on l'amplifie graduellement jusqu'à la forme qui se trouve
dans L (IX° siècle) : la première épître aux Corinthiens
du saint et illustre apôtre Paul.
Le titre original a dû être tout simplement pros
Korinqious; car cette lettre n'était pas la première
que l'apôtre adressait à cette Eglise (voir cette introduction),
et l'eût-elle été, il n'eût pu prévoir qu'il en écrirait plus tard
une seconde.
Le titre, tel que nous le trouvons dans les plus anciens manuscrits,
a été rédigé par ceux qui ont formé la collection des lettres de
saint Paul.
Cette épître nous présente le même cadre général que toutes les
autres du même apôtre :
1° Le préambule, comprenant l'adresse et une action
de grâces, 1:1 à 9
2° Le corps de la lettre, où sont traités les sujets
qui ont motivé sa composition : 1:10 à chapitre 15 inclus
3° La conclusion, renfermant commissions, nouvelles
et salutations : chapitre 16
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