Les pasteurs
de l'Eglise ont cherché leurs propres intérêts et
non point ceux de Christ.Nous
avons abandonné la simplicité de cœur.Le
commerce, au milieu de nous, a fait naître la soif du gain et
les principes de l'Eglise en ont souffert.(2)
Pensées, paroles et œuvres,
parmi nous, se ressentent de l'influence du siècle présent.
Méditées à genoux,
arrosées de beaucoup de larmes, ces paroles du Seigneur à
l'Eglise produisirent au sein du synode un de ces salutaires ébranlements
spirituels qui préparent des jours nouveaux. La paix de Dieu
rentra dans les âmes. Les délibérations financières
reprirent avec un nouvel élan, et une première solution
des problèmes du jour fut trouvée.
L'Eglise de l'Unité, définitivement
organisée, se constitua héritière de toute la dette
comme de tout l'avoir (3)
que lui avait légués le passé, et dédommagea
la famille de Zinzendorf par une somme de 450 000 francs. Elle résolut,
en outre, de modifier le versement des contributions destinées
au service des intérêts et à la diminution de son
passif. L'impôt ecclésiastique céda la place aux
dons volontaires.
Mais de nouvelles complications survinrent.
Le système de la centralisation absolue se heurta contre l'opposition
de plusieurs cercles de l'Eglise et l'esprit de mécontentement,
à peine banni, regagna du terrain. On disait que le directoire
manquait de savoir-faire, on l'accusait de prodigalité, et les
dons volontaires, après avoir largement afflué pendant
deux ans, tendirent à diminuer d'une manière effrayante.
Enfin, la position matérielle de telle Eglise particulière
inspirait les plus vives inquiétudes.
Un nouveau synode (4)
se réunit, en 1769, à Marienborn, pour s'occuper de ces
graves affaires. Le directoire abdiqua son pouvoir entre les mains de
l'assemblée dont Spangenberg fut élu président.
A l'ouverture des séances, on lut
une émouvante lettre de Frédéric de Watteville,
malade à Herrnhut. Une profonde humiliation s'y mêlait
à des exhortations pleines de sérieux et de sagesse. "
Mieux vaut reconnaître humblement son péché que
de délibérer pendant six mois ", s'écriait,
entre autres, le vénérable vieillard.
Avec la lecture de cette lettre coïncida
la nouvelle du décès de quatre missionnaires de la Guinée,
ce qui acheva d'humilier les délégués des Eglises.
C'est dans ces dispositions qu'ils abordèrent
les nombreuses questions du jour et, avant tout, celle des finances.
La plus grande franchise régna dans la salle des séances.
Anciens directeurs et délégués, pasteurs et laïques,
se prononcèrent avec une égale liberté. D'une part,
on confessa avoir officiellement disposé d'une manière
irréfléchie de la fortune particulière; de l'autre,
on avoua des habitudes de luxe et de mondanité et l'on reconnut
avoir manqué de confiance à l'égard du Seigneur
et de ses serviteurs. Tandis que Spangenberg, assuré " qu'à
la condition d'une vraie conversion tout irait bien ", s'efforçait
de maintenir les cœurs dans ces sentiments de contrition, Köber
travaillait à réaliser le résultat pratique auquel
s'attendait l'Eglise. Il fut décidé de vendre Lindsey-House
et les bâtiments du Herrnhaag, et de restreindre les dépenses
officielles jusqu'à la limite du possible. On résolut
aussi, afin de donner plus d'indépendance aux différentes
communautés de l'Eglise, de répartir entre celles-ci toute
la fortune dont on disposait. Les communautés, en retour de cet
arrangement, devaient chacune salarier ses pasteurs et contribuer, selon
la mesure de leurs forces et avec une libéralité proportionnée
à la confiance qui leur avait été témoignée,
au paiement des intérêts de la dette de l'Eglise et à
l'entretien de ses œuvres. L'Eglise, en suite de ces changements, était
devenue une confédération.
L'épreuve, cependant, n'avait pas
encore atteint son terme. La vie spirituelle de l'Eglise souffrait sous
le lourd poids des préoccupations matérielles. Telle communauté,
ne pensant qu'à ses intérêts à elle, et luttant
uniquement pour son existence, oubliait ses obligations envers l'ensemble
de l'Eglise. Celle de Neuwied subit, non sans sa faute, une nouvelle
perte de 120 000 francs. Ailleurs, en Angleterre surtout, l'on se plaignait
ouvertement que l'Eglise, ayant perdu la foi en son Chef divin et ayant
quitté le chemin de l'obéissance et de la fidélité,
était tombée entre les mains des hommes.
Ainsi se croisaient, multiples, touchant
tantôt à un détail tantôt à un autre,
les accusations, les refus, les projets, les déceptions et les
humiliations, filet pernicieux dont les mailles menaçaient d'étouffer
le corps spirituel de l'Eglise.
Au moment même où l'on préparait
un dernier pas en avant dans le chemin de la décentralisation
qui, selon toute probabilité, eût été un
irréparable malheur, nous disons au moment où, après
avoir réparti la fortune de l'Eglise, on allait répartir
également la dette entre toutes les communautés, les chargeant
chacune individuellement d'une partie du fardeau et les abandonnant
à leur sort, Dieu intervint par un de ces actes de puissance,
de bonté et de sagesse qui abondent dans l'histoire de l'Eglise
de l'Unité.
Le 4 septembre 1772, une vingtaine de sœurs,
appartenant à la portion la plus pauvre de la communauté
de Herrnhut, se déclarèrent prêtes, dans une lettre
adressée à l'Eglise, à réunir les fonds
nécessaires pour combler le déficit. A cet effet, elles
proposèrent la vente de l'argenterie et de n'importe quel objet
de prix, qui pourraient se trouver en possession des membres de l'Eglise.
C'était l'appel au sacrifice, parti
de cœurs profondément affligés par l'état de choses
désespérant contre lequel les synodes avaient lutté
en vain. C'était le fruit béni des prières et des
infatigables efforts de Spangenberg, de Jean de Watteville et de quelques
autres frères. C'était, en premier lieu, un miracle de
la grâce divine, grand par sa simplicité autant que par
ses effets.
La proposition des vingt sœurs eut un puissant
retentissement. Beaucoup de personnes la saluèrent comme la manifestation
la plus noble et la plus généreuse de l'attachement du
cœur à l'Eglise en détresse. D'autres, natures plus critiques,
moins confiantes, souriaient à la vue de cet élan qu'elles
traitaient de naïf. Quelques-uns, sept hommes, nourrissant dès
longtemps des sentiments d'aigreur et d'opiniâtre résistance,
haïssant la lumière du jour nouveau qui se levait sur Herrnhut
et l'Eglise de l'Unité tout entière, quittèrent
la localité avec leurs familles.
Au sein de tout ce mouvement des esprits,
le fonds pour combler le déficit augmenta rapidement. On vendit
qui ses cuillers d'argent, qui un bijou. La charité, ingénieuse,
inventa mille moyens de donner. Les Eglises de Silésie suivirent
l'exemple de l'Eglise de Herrnhut. Partout s'éveilla un saint
patriotisme qui ne semblait avoir attendu qu'un signal pour se montrer.
En même temps, le directoire réussit
à vendre Lindsey-House et le Herrnhaag. Les domaines de l'Eglise,
en dépit de maigres récoltes, fournirent un beau revenu,
et Dieu se plut à accorder à ceux qui géraient
les affaires, les délivrances les plus signalées. A partir
du printemps 1773, le danger qu'avait couru l'Eglise pouvait être
envisagé comme définitivement conjuré, et, le premier
janvier 1774, on lut avec émotion ce passage du livre des Textes
: Les ténèbres sont passées. Peu de temps
après, les sommes réunies avaient atteint le chiffre de
975 000 francs!
Telles étaient les circonstances
dans lesquelles s'ouvrit, en 1775, à Barby, le troisième
synode constitutif de l'Eglise. La note qui y dominait était
celle d'une profonde reconnaissance. Le cœur joyeux, puissamment fortifiés
dans la foi, les délégués mirent la dernière
main à l'organisation de l'Eglise de l'Unité.
Au point de vue administratif, ils effectuèrent
un retour au principe de la centralisation abandonnée en 1769.
Le directoire - la conférence des Anciens de l'Unité -
responsable vis-à-vis du synode seul, reprend sur toute la ligne
la gestion des affaires. Il administre la fortune reconstituée
de l'Eglise, qu'il dirige tout à la fois spirituellement. Il
surveille toutes les communautés, sans que celles-ci perdent
leur indépendance et leur liberté d'action. Il leur garantit
le secours qu'il leur faudra, à la condition qu'elles contribuent,
dans la mesure du possible, aux besoins de l'ensemble de l'Eglise.
Au point de vue ecclésiastique,
nous remarquons le maintien, par le synode, de tous les droits de l'Eglise
morave épiscopale au milieu de ses Eglises sœurs protestantes.
Ses évêques, toutefois, dépourvus de diocèses,
n'ayant aucune part à l'administration de l'Eglise, n'auront
de prérogative que celle de la consécration des pasteurs.
Au point de vue de la doctrine enfin, le
synode, après de longues délibérations, se prononce
en ces termes:
Nous
tiendrons d'une façon particulière et sans varier à
quatre points de doctrine beaucoup combattus de nos jours:
1° La
doctrine du sacrifice expiatoire de Christ, mort pour nos péchés
et offrant, au pécheur, la force de vivre d'une vie nouvelle.
2° La
doctrine de la corruption naturelle de l'homme et de son incapacité
de se sauver lui-même.
3° La
doctrine de la divinité de Christ.4°
La doctrine du Saint-Esprit et de son travail dans l'homme racheté.
A part ces graves questions, le synode
s'occupa de beaucoup de détails, réglant sur toute la
ligne la vie et les pratiques de l'Eglise et élaborant des statuts.
Son œuvre ainsi accomplie, il tint, le 9 octobre, sa dernière
séance. L'Eglise renouvelée de l'Unité était
devenue une réalité. Sa constitution, après un
travail de vingt-cinq ans, était achevée dans ses grands
traits.
Contemplerons-nous sans émotion
ce résultat de même que les luttes, les défaites
et les victoires qu'il avait fallu pour l'amener ?
En comparant l'Eglise de l'Unité
fortement organisée à l'idéal tel que Zinzendorf
l'avait conçu et aux libres et généreux débordements
des premiers temps, nous constatons comme un endiguement des flots impétueux
et des forces vives du passé: l'indépendance du mouvement
arrêtée par les règlements; la libre association
des cœurs au service de Christ devenue une organisation ecclésiastique,
traçant jusque dans ses détails le chemin de l'ensemble
et de l'individu et tramant le lourd fardeau d'une fortune à
gérer; la grande pensée de Zinzendorf réduite à
une expression qui ne la rendait que fort imparfaitement.
Les choses auraient-elles pu se passer
autrement? Nous le nions, parce que nous comptons avec le péché
de l'homme et les insuffisances de la terre. Le royaume de Dieu, prenant
corps ici-bas, revêtira nécessairement une forme humaine,
lointain et pâle reflet de l'idéal. On regrettera ce fait;
on ne le changera pas.
Mais aux regrets se mêleront, pour
quiconque a suivi le cours des événements dans l'Eglise
de l'Unité, les actions de grâces et de saintes instructions.
Ce ne furent point les combinaisons de la prudence humaine, mais l'action
de Dieu dans les cœurs et son travail dans les consciences, qui, d'étape
en étape, à travers toutes les difficultés, conduisirent
l'Eglise au résultat obtenu en 1775. Nous tirons de là
cette conclusion que ce ne sont pas tout d'abord les institutions humaines
qu'il faut pour le vrai développement de nos Eglises, mais que
c'est plutôt la vie individuellement produite et nourrie dans
leurs membres par le Saint-Esprit.
On a dit que, depuis le temps où
les hardiesses d'une foi qui ne calculait pas, avaient plongé
l'Eglise de l'Unité dans les embarras cruels dont, sans le puissant
secours de Dieu, elle serait devenue la victime, cette Eglise n'a jamais
désappris à regarder à la dépense avant
de bâtir la tour et à examiner si elle a de quoi l'achever.
S'il n'en était pas ainsi, l'Eglise aurait méprisé
une des leçons les plus sévères que lui a laissées
son histoire.