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L'Eglise de l'Unité
des Frères
d'E.A. Senft
DEUXIEME PARTIE
De la mort de Zinzendorf jusqu'à nos jours.
1760 - 1888
CHAPITRE 15
L'EGLISE DE L'UNITE ET LA CULTURE MODERNE
A l'heure où
les héros de la Réforme travaillaient à la régénération
intellectuelle et morale du monde allemand, la théologie occupait,
dans le cercle des sciences, une place prépondérante et
faisait valoir une autorité qu'on osait à peine lui disputer.
Petit à petit cependant, une bonne partie de la vie intellectuelle,
échappant à cette tutelle, s'émancipa et choisit
des chemins qui l'éloignèrent des principes de la foi chrétienne.
Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle,
la rupture devint un fait accompli. La culture moderne, dans la personne
de ses représentants les plus brillants, se montra irréligieuse,
sinon hostile au christianisme, et celui-ci se vit placé devant
cette alternative, ou de céder la place à l'ennemi ou de
reconquérir le terrain perdu. Se refuser aux exigences des temps
modernes, en repousser les conquêtes et opposer au libre mouvement
de la pensée les étroitesses de la vie ascétique,
c'était se déclarer vaincu. Porter au-devant du progrès
de la culture les richesses inépuisables d'une foi aussi ferme
que large, marier les deux domaines, pénétrer la vie intellectuelle
de vie religieuse et mettre la première sous la discipline de la
seconde, c'était le triomphe au lieu de la défaite.
L'Eglise de l'Unité,
sans avoir jamais eu la prétention d'accomplir cette oeuvre éminemment
difficile, y a cependant mis la main, prouvant, jusque dans ce détail,
son affranchissement des étroitesses du piétisme de Halle.
Nous aurons à
parler des établissements d'éducation, du gymnase et de
l'académie de théologie de l'Eglise.
Celle-ci fonda de
nombreuses maisons d'éducation dans toutes les parties de l'Allemagne,
en Suisse, en Hollande, eu Livonie, et, au dix-neuvième siècle,
aussi en Angleterre et en Amérique (Neuwied 1756, Montmirail 1766,
Lausanne 1837, Gnadenfrei, Gnadenfeld, Niesky 1770, Kleinwelke, Gnadau,
Zeist, Königsfeld 1810 et 1813; Neuwelke en Livonie; Fulneck, Fairfield,
Ockbrook en Angleterre; Nazareth-Hall, Bethléem, Salem en Amérique).
S'appuyant sur les communautés qui les avaient reçus chez
elles, placés, pour la plupart et pendant de longues années,
sous la direction du pasteur de la localité, ces pensionnats portaient
un caractère franchement religieux. Le premier et grand but qu'on
y poursuivait était d'amener la jeunesse à la connaissance
du Sauveur et de lui apprendre à l'aimer. Mais en même temps,
loin de comprimer les aspirations généreuses de la nature
et de la raison, ou s'efforçait de pratiquer une piété
fécondant toutes les facultés de l'homme et laissant une
large place aux joies innocentes ainsi qu'aux préoccupations intellectuelles
et artistiques des élèves. A partir du XIXème
siècle, notamment, sous l'influence des théories modernes
de Pestalozzi, l'éducation morave, tout en conservant sa base foncièrement
religieuse, tint compte de tous les besoins légitimes de son objet.
Aussi les pensionnats
moraves virent-ils affluer de nombreux élèves, appartenant
fort souvent, surtout à Niesky, à la bonne et même
à la meilleure société. Des milliers d'enfants y
reçurent une éducation chrétienne aussi simple que
solide et en sortirent avec un trésor de beaux et précieux
souvenirs.
Aujourd'hui encore,
en dépit des temps et des circonstances changés, et malgré
les fortes exigences des lois scolaires de l'Etat moderne, la plupart
des établissements d'éducation de l'Eglise de l'Unité
ont maintenu leur place et continué leur vocation. En Allemagne
et en Suisse, pendant chaque période de dix ans, cinq à
six mille élèves y font des séjours plus ou moins
prolongés. L'œuvre, toujours fort importante et dirigée
d'après les principes des pères, n'a pas cessé de
s'accomplir, sous la bénédiction visible de Dieu, par l'Eglise
qui l'envisage comme l'une des branches les plus belles de son activité
chrétienne.
Plus directement
encore que dans les pensionnats, on travailla à l'alliance de la
science et de la piété dans le gymnase ou pédagogium
de l'Eglise. L'origine de cette école latine remonte à l'année
1739 et au comte de Zinzendorf. Elle fut ouverte dans la Wetterau, passa
en 1750 à Gross-Hermersdorf près de Herrnhut, en 1760 à
Niesky, en 1789 à Barby, puis, en 1808, définitivement à
Niesky, où, pendant dix ans, elle eut sa place à côté
de l'académie de théologie, et où, après le
départ de celle-ci pour Gnadenfeld (Haute-Silésie), elle
est demeurée fixée jusqu'à nos jours. Le souvenir
de quelques noms est resté inséparable de cette institution
dans laquelle les serviteurs de l'Eglise sont appelés à
faire leurs études classiques: Paul-Eugene Layritz, homme savant,
pédagogue distingué, hautement qualifié pour la place
de directeur du gymnase qu'il occupa jusqu'en 1763; Forestier, chapelain
de la maison; Jean-Baptiste d'Albertini, naturaliste et linguiste; Zembsch,
latiniste distingué qui, 50 ans durant, servit l'institut; Schordan,
aussi versé dans la littérature de l'ancienne Grèce
que Zembsch l'avait été dans celle de Rome.
Autour de ces hommes
et de tant d'autres qui se succédaient soit comme directeurs soit
comme professeurs du pédagogium, se groupaient, vivant sous le
même toit, d'habitude pendant cinq ans, de nombreux jeunes gens,
à peu près tous futurs pasteurs de l'Eglise. Sous la direction
de leurs maîtres humanistes et s'enflammant mutuellement, ils étudiaient
les auteurs de l'antiquité, les latins de préférence
sous Zembsch, les grecs sous Schordan. (1)
A côté des études classiques, les mathématiques,
les sciences naturelles, la botanique, la rhétorique, les langues
modernes trouvaient leur place assurée. La culture des beaux-arts
florissait, à partir de 1775 surtout. On entendait, dans les murs
du gymnase, le Messie de Haendel, la mort de Jésus par Gratin.
On y entretenait le goût du dessin et de la peinture. A mesure aussi
que les temps avançaient, les libertés que l'austère
pédagogie des vieux temps avait refusées à la jeunesse,
et que réclamait, en sa faveur, la philanthropie moderne, furent
accordées aux étudiants du pédagogium (permission
du patinage en 1811).
Les années
les plus heureuses de celui-ci furent celles de son séjour dans
le château de Barby (1789-1808). Nulle part mieux que dans cette
paisible retraite, tout empreinte de douce sérénité
(heiteres Studienkloster), les jeunes esprits ne s'éprirent
de tout ce qu'il y avait de grand et de beau dans le passé et dans
le présent, et nulle part ne se formèrent des liaisons plus
durables entre les cœurs.
Mais si, de cette
façon, ou ouvrait largement la porte aux influences du dehors,
on la refermait dès qu'un danger moral ou spirituel semblait vouloir
entrer. La lecture d'un certain nombre d'écrivains contemporains
était interdite aux étudiants du pédagogium. Craintive
par fidélité, la direction de l'institut ne fut pas toujours
sans pousser trop loin les mesures préventives, et de faire par
là plus de mal que de bien.
Ce qu'il importe de
constater, avant tout, c'est que, dans le pédagogium comme dans
les pensionnats, les intérêts du cœur et de l'âme devaient
primer tous les autres. Le Sauveur, tel que Zinzendorf l'avait prêché,
devait occuper, dans le cœur des étudiants, le premier rang. A
ce sujet, nous citerons le fragment de lettre suivant, issu de la plume
de Schleiermacher (né en 1768), élève du pédagogium
en 1785 : (2)
" J'ai fait beaucoup d'expériences, expériences du
mal qu'il y a en moi et de l'abondance de grâce qu'il y a dans le
Sauveur. J'ai mérité la colère: voilà ma confession.
Et du haut de sa croix l'Agneau de Dieu me répond: J'ai ôté
ton péché. Quand je me dis ce à quoi on s'attend
de la part d'un membre de l'Eglise, je perds courage; impossible d'aller
en avant en me confiant en mes forces. C'est pourquoi, chère sœur,
pense beaucoup à moi devant le Sauveur ". Or, ce que ce plus
grand élève du gymnase morave confessait quant à
lui-même, beaucoup d'autres le disaient comme lui.
Il faut avouer,
cependant, que l'union d'une piété vivante et des sciences
à laquelle on avait aspiré, ne fut réalisée,
dans le pédagogium, que d'une manière bien imparfaite. Elle
fut sérieusement compromise au commencement du XIXème
siècle. L'élément religieux, tout en conservant ses
anciennes formes, perdit du terrain dans les cœurs. Un mauvais esprit
régna parmi la jeunesse jusqu'au moment où Dieu, par un
puissant réveil dont nous aurons à parler plus tard, fit
valoir ses droits sacrés.
Tout aussi bien
que le pédagogium, l'académie de théologie de l'Eglise
était une création de Zinzendorf. Avec le coup d'œil si
sûr qui lui était propre dans tout ce qui touchait aux affaires
de Dieu ici-bas, le comte avait compris qu'il fallait, aux serviteurs
du Seigneur, une culture d'esprit étendue et profonde. Aussi rencontrons-nous,
en 1739 déjà, dans la Wetterau, une école de théologie
morave. Transportée en 1754 à Barby, elle y prit, sous la
direction de Gottfried Clemens, un développement nouveau. Zinzendorf
d'abord, puis Spangenberg, lui vouèrent des soins précieux.
Le directoire de l'Eglise, fixé à Barby entre 1771 et 1784
la suivit de près. Après avoir échangé, en
1789, Barby contre Niesky, l'académie trouva, en 1818, sa place
définitive au sein de la communauté de Gnadenfeld.
L'esprit dans lequel
l'Eglise était désireuse de voir s'achever la préparation
de ses pasteurs au saint ministère, apparaît dans ces paroles
du directoire, du 13 janvier 1779: " On ne fait pas d'études
pour briller dans le monde, mais pour servir le Sauveur. Ce n'est pas
dire que les études doivent se faire superficiellement. Il faut,
au contraire, attaquer les sciences de front et profiter de toutes les
circonstances qui se présentent pour élargir le cercle des
connaissances déjà acquises, afin de se rendre d'autant
plus utile au service de Christ.
Tout en travaillant
ainsi, l'étudiant aura soin de demeurer en communion vivante et
personnelle avec son Sauveur et de l'initier à tout. Les deux choses,
selon de nombreux témoignages de l'expérience chrétienne,
ne s'excluent pas, mais doivent subsister l'une à côté
de l'autre. La condition de réussite est là. "
Le programme des
études (trois ans) était riche et varié. Loin de
s'arrêter aux diverses branches de la théologie proprement
dite, il embrassait la langue hébraïque, les mathématiques,
la logique, l'encyclopédie, la physique, la physiologie, la botanique,
etc.. On entretenait aussi, avec un sage discernement, de fréquents
rapports avec quelques sommités de la science allemande. On aurait
voulu prendre partout ce qu'il y avait de bon, en laissant ce qui était
contraire à l'esprit chrétien, ou bien se refusait à
une assimilation avec la pensée religieuse. Vaillants efforts qui
auraient été dignes d'un plein succès!
Mais l'Eglise ne
possédait pas les forces intellectuelles et morales pour la réalisation
du plan qu'elle s'était tracé. Les plus doués de
ses jeunes théologiens ne se trouvèrent pas satisfaits par
l'enseignement qui leur était offert. Le plus éminent d'entre
eux, Schleiermacher, quitta Barby, en 1787, et se rendit à Halle.
D'autres, tels que J. B d'Albertini, n'y furent retenus que par des sentiments
de piété. Après le départ de l'excellent Moore
(1787) dont l'autorité morale sur les étudiants avait été
grande, l'académie tout entière subit, d'une manière
de plus en plus fâcheuse, l'influence démoralisante du souffle
d'insubordination, de légèreté et d'indifférence
religieuse qui passait alors sur le monde universitaire de l'Allemagne.
Des difficultés d'un autre genre surgirent à Niesky, où
l'académie fut transférée en 1789. La philosophie
contemporaine (Kant) qu'à tort ou à raison on aurait voulu
bannir de l'esprit des étudiants et qui néanmoins avait
trouvé son chemin jusque dans leur cercle, s'y fit puissamment
et ouvertement valoir. Ni professeurs, ni élèves ne purent
se soustraire au grand mouvement des esprits en Allemagne. Chez plusieurs,
un combat acharné s'engagea entre le doute et la foi. Chez d'autres,
que la raison avait entraînés loin du chemin de la foi orthodoxe,
la foi du cœur devint le moyen qui les retint, en dépit de tout,
auprès du Sauveur de leur enfance (d'Albertini, Christlieb Reichel,
Curie, Jean Plitt). En présence de ce débordement de l'esprit
philosophique, le directoire de l'Eglise crut devoir intervenir. Il réalisa
des mesures restrictives, en partie fort malheureuses, telles qu'une réduction
des semestres d'étude (quatre au lieu de six), et introduisit,
dans le programme de l'académie, des cours nouveaux, tels que l'histoire
de l'Eglise de l'Unité et la pédagogie. Néanmoins,
la philosophie (Fries), représentée avec distinction par
le spirituel professeur Brahts, continua à régner. La théologie,
détrônée, ne joua qu'un rôle secondaire. Il
appartenait à l'avenir de lui rendre ce qu'elle avait perdu.
Le 18 septembre
1818, l'académie de l'Eglise de l'Unité fut installée
à Gnadenfeld. C'est là qu'elle devint, sous la direction
distinguée de Jean et de Hermann Plitt, le séminaire de
théologie dont l'Eglise avait besoin.
A ces récits,
humiliants à plus d'un point de vue, il faut ajouter un détail
qui mérite d'être relevé. L'Eglise de l'Unité,
incapable de ramener à la foi la vie intellectuelle de l'Allemagne,
a cependant eu le privilège de donner au protestantisme l'homme
qui, entre les mains de Dieu, devait être un premier instrument
pour l'accomplissement de cette oeuvre, encore loin d'être achevée
de nos jours. L'immortel Frédéric Schleiermacher qui avait
été admis dans l'Eglise des Frères à l'âge
de dix-neuf ans, emporta, en la quittant, un précieux dépôt
spirituel qu'il n'a jamais renié et dont la valeur pour l'œuvre
de sa vie, notamment pour sa théologie, a été grande.
La place prédominante qu'il a accordée à la personne
du Christ dans son système du christianisme, voilà la trace
de son éducation morave. Aussi a-t-il conservé à
l'Eglise de sa jeunesse un pieux souvenir. Preuve en soient les quelques
lignes suivantes qu'il traça à Halle en 1805 (3):
" J'ai passé la semaine de Pâques à Barby, dans
l'Eglise des Frères: belles et saintes journées, riches
en souvenirs mémorables et en jouissances pour mon cœur. J'ai retrouvé
dans cette localité mon vieux recteur, vieillard de soixante-dix-sept
ans, encore actif et plein de vie, qui, aussi longtemps que je fus sous
sa surveillance, m'avait aimé comme un second père. Puis,
les beaux cultes du Vendredi Saint: la lecture du récit de la Passion,
coupée, de temps en temps, par un cantique, ou bien quelque chant
du chœur bien compris; pas de discours, rien qu'une puissante prière
prononcée à l'heure de la mort du Christ et toute pénétrée
de la grande pensée de la réconciliation; l'agape du grand
sabbat; le culte sur le cimetière, le matin de Pâques, au
moment du lever du soleil.
Vraiment, il n'y
a, aujourd'hui, dans toute la chrétienté pas de culte public
qui réponde mieux aux aspirations de la piété chrétienne
ou qui l'éveille plus sûrement, que ceux de l'Eglise de l'Unité.
Tout absorbé par l'amour et la foi, je sentis profondément
combien nous sommes en arrière, nous autres, chez lesquels le pauvre
discours, et quel discours souvent! est tout... Je serai bientôt
appelé à organiser ici un service divin académique...
Que ne puis-je introduire ce qu'il y a chez les Frères de beau
et de bon ! J'aurais aussi, sans doute, obtenu la permission de prendre
la Cène avec l'Eglise, mais je n'ai pas voulu demander ce qui,
au fond, n'est pas dans l'ordre. (4)
On ne célèbre de vraie Cène que là... Quand
je réfléchis à mon isolement dans le monde et à
ma séparation d'avec ceux qui forment la plus vraie Eglise de Christ
sur la terre, j'essaie de me consoler par la pensée d'appartenir
à l'Eglise invisible, dispersée partout, dans un même
esprit, une même piété et un même amour. "
Notes:
(1) Le piétisme de
Halle s'était borné à l'étude du texte original
du -Nouveau Testament..
(2)
Lettre à sa sœur Charlotte. .
(3)
Lettre à Charlotte de Kathen. .
(4)
L'Eglise morave, autrefois quelque peu exclusive quant à la Cène,
y admet aujourd'hui de grand cœur les amis qui se sont annoncés
auprès du pasteur.
Table
des matières
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