Il n'y avait, on le sait,
rien de combiné de la part de Zinzendorf dans la fondation de
Herrnhut. L'établissement sur ses terres des émigrés
moraves qu'il avait recueillis par pitié et fléchissant
seulement devant l'impossibilité dans laquelle il se trouvait
de les envoyer dans la principauté de Reuss, n'avait excité
son intérêt qu'à l'heure où il eut compris
que Dieu lui avait amené ces gens et qu'il fallait accepter d'en
haut la tache nouvelle.
Mais, si le comte avait
été loin de projeter la colonie morave, une pensée
qui l'avait abordé bien moins encore, c'était celle de
fonder une nouvelle Eglise ou bien de rendre l'existence à une
Eglise disparue depuis un siècle. Les émigrés,
selon lui, allaient tout simplement grossir les rangs des paroissiens
luthériens du pasteur Rothe.
Quant aux nouveaux arrivés
eux-mêmes, ils ne partageaient pas entièrement les vues
de leur protecteur. Même après la salutaire secousse de
1727, ils tenaient à leur nom de Moraves et à une certaine
indépendance ecclésiastique qui, à leur avis, leur
revenait de droit. N'étaient-ils pas les fils d'une Eglise qui,
à travers presque deux siècles, avait occupé sa
place marquée? N'avaient-ils pas, en outre, tout quitté
pour l'amour de la foi de leurs pères? Il y avait là,
leur semblait-il, assez de titres valables à une autonomie ecclésiastique.
Le comte, trop juste pour
méconnaître tout ce qu'il y avait de légitime dans
ces prétentions, proposa un compromis qui fut accepté
pour le moment. On convint que Herrnhut, sans sortir du giron de l'Eglise
luthérienne, formerait une Eglise dans l'Eglise, conservant,
à côté du ministère officiel du pasteur Rothe,
de Berthelsdorf, un ministère laïque, son organisation ecclésiastique
spéciale, et son nom de morave. Le pasteur Rothe, assez clairvoyant
pour comprendre ce que cet arrangement avait de délicat et d'incertain,
essaya une protestation et fut appuyé dans ses vues, par Madame
de Gersdorf et d'autres. Mais Zinzendorf tint bon, assuré qu'il
était de ne pouvoir sauver la position qu'aux conditions convenues,
désireux aussi de pouvoir se servir, pour les affaires du règne
de Dieu, de la vaillance et de l'énergie des précieux
éléments que Dieu lui-même, d'une manière
si remarquable, avait trouvé bon de lui envoyer.
Cependant de nouveaux conflits
allaient surgir. Bien décidé à ne pas aller plus
loin dans la voie de la séparation, préoccupé plutôt
de la pensée d'affermir l'union étroite de Herrnhut avec
l'Eglise luthérienne, le comte fit, en 1733, de grands efforts
pour donner à la colonie un pasteur luthérien qu'il espérait
avoir trouvé dans la personne de Steinhofer. N'ayant pas réussi
dans cette affaire, il entra lui-même, en 1734, à Tubingue,
dans les rangs du clergé luthérien. Dans cette nouvelle
position, il pensait posséder dorénavant tout à
la fois un bouclier protecteur contre les attaques des adversaires de
Herrnhut, et un nouveau moyen de servir, par Herrnhut, les intérêts
de l'Eglise luthérienne.
Il était à
prévoir que les Moraves ne le suivraient pas dans la voie choisie.
La force majeure des circonstances aussi ne tarda pas à entraver
ses desseins. Herrnhut, en 1735 déjà, avait non seulement
quelques rites ecclésiastiques qui lui étaient propres,
mais aussi son recueil de cantiques à lui. A cela vint se joindre,
en 1735, un événement fort important, quoique, à
l'heure même, on n'en eût, bien probablement, pas mesuré
la portée. Il fallait pour les missionnaires, appelés
à prêcher l'Evangile et à administrer les sacrements,
la consécration au saint ministère, mais Zinzendorf, pas
plus que les Moraves, ne savaient comment l'obtenir pour les laïques
qui partaient. Allant au devant de cet embarras, l'évêque
Daniel Jablonsky, à Berlin, offrit aux Frères de transmettre
à l'un des leurs la charge épiscopale de l'Eglise de l'Unité
et de faciliter par là un ministère régulier pour
l'oeuvre des Missions.
On accepta avec empressement,
et David Nitschmann reçut, le 13 mars 173.5, à Berlin,
l'ordination comme évêque.
De fait, un grand pas au
devant du renouvellement de l'ancienne Eglise de l'Unité venait
de s'accomplir par cet acte solennel. Jablonsky lui-même semble
avoir ainsi envisagé les choses. Zinzendorf seul n'admettait
pas cette manière de voir. Contrarié dans ses plans par
ce qui venait de se passer, et peu enclin à faire le sacrifice
de ses vues, il se plut dès lors à distinguer entre une
Eglise autonome (les Frères travaillant au service des Missions)
d'une part, et une Eglise morave non autonome, faisant partie de l'Eglise
luthérienne et appelée à servir Christ dans la
patrie, d'autre part. De là, cette phrase qui se lit dans les
annales de Herrnhut de 1736: " Nous ne formons pas d'association
religieuse à laquelle on puisse passer en quittant l'Eglise établie
".
Dans le but tout à
la fois de consacrer cet état de choses et de conserver à
l'Eglise luthérienne tout ce que les Moraves avaient à
donner, spirituellement, Zinzendorf, à la suite de ses entretiens
avec Frédéric Guillaume 1er, accepta lui-même,
le 20 mai 1737, la charge épiscopale des mains de Jablonsky.
Il cumulait ainsi les charges de pasteur luthérien et d'évêque
de l'ancienne Eglise de l'Unité.
Faut-il s'étonner
qu'un grand nombre de ses frères ne le comprissent pas en cela,
et que l'épiscopat du comte, produisant un effet contraire aux
desseins de celui-ci, ait fait grandir chez les Moraves le désir
d'une autonomie ecclésiastique dans la patrie comme elle existait
déjà pour l'étranger? Une telle autonomie ne se
justifiait-elle pas à mesure que les Frères, créant
de nouvelles colonies à côté de celle de Herrnhut,
s'étendant toujours davantage, se trouvaient dans des conditions
toujours plus variées et plus compliquées? Tel nouvel
établissement, le Herrnhaag, par exemple, ne jouissait-il pas
déjà d'une indépendance ecclésiastique complète?
N'y avait-on pas établi jusqu'à un séminaire de
théologie dans lequel on enseignait ce qui avait le droit de
s'appeler une doctrine des Frères?
En dépit de toutes
ces considérations, Zinzendorf continua à s'opposer à
un renouvellement formel, par les Frères, de l'ancienne Eglise
de l'Unité. Il persista à vouloir maintenir Herrnhut,
foyer primitif du mouvement que dirigeait sa puissante individualité,
dans les cadres de l'Eglise luthérienne, et il alla jusqu'à
projeter d'éloigner de cet endroit l'élément morave,
rebelle à ses volontés. D'un autre côté,
un voyage à St-Thomas, en 1739, lui ayant fait comprendre, tout
à nouveau, la nécessité absolue pour les Missions
d'une constitution ecclésiastique définie, il s'empressa,
après son retour dans la Wetterau, de faire reconnaître
par le gouvernement danois " l'Eglise des Frères établie
aux Antilles. "
Il est nécessaire,
pour comprendre le comte, de se dire que sa résistance à
la formation d'une nouvelle Eglise en Europe ou bien plutôt à
la restauration d'une Eglise qui avait cessé d'exister, loin
d'être le fruit de l'opiniâtreté d'un esprit borné,
trahissait un point de vue très élevé et une grande
largeur. Il tenait à éloigner du cercle des Frères
jusqu'aux apparences sectaires, inséparables, lui semblait-il,
du nom d'une nouvelle Eglise. Etrangers à toutes les étroitesses,
les Frères devaient, selon sa pensée, travailler en Europe
à l'union intime, sous le drapeau de Christ, de tous ceux qui,
dans n'importe quel pays, quelle Eglise, quelle dénomination
religieuse ou quelle secte, croyaient par le cœur au Sauveur du monde.
C'est pour l'amour de cette grande mission qu'il les suppliait de renoncer
à toute autonomie ecclésiastique qui, nécessairement,
se transformerait en frein et en obstacle, parce qu'elle courait le
risque d'être accusée de viser au prosélytisme.
D'après cela, Zinzendorf
croyait ne pouvoir faire qu'une seule concession, compatible avec ses
vues. C'était que, là, où l'y obligeraient des
circonstances indépendantes de sa volonté, le cercle des
Frères, pour la réussite de son travail au sein de tous
les enfants de Dieu, se couvrît, comme d'un bouclier, du nom de
l'Eglise de l'Unité et adoptât les formes d'une Eglise
particulière.
Ce furent ces pensées
que le comte développa, au sein de l'Eglise des pèlerins,
dans les deux synodes d'Ebersdorf (1739) et de Gotha (1740). Ses compagnons
d'oeuvre, natures plus pratiques et moins idéalistes que lui,
eurent de la peine à se rendre à son opinion. Ils comprenaient
ce que l'organisation, telle que la rêvait
Zinzendorf, avait de peu déterminé
et de difficile à saisir et croyaient devoir suivre une autre
route.
L'opposition, se contenant
en la présence du comte, fatigué, irritable à cette
époque de sa vie, éclata quand celui-ci, en 1741, fut
parti pour l'Amérique où l'emmenait la soif d'un travail
sans entraves. La conférence générale, appelée
à gouverner en son absence, se mit courageusement à l'oeuvre
du renouvellement de l'Eglise de l'Unité et obtint, en 1742,
la reconnaissance de celle-ci par le gouvernement de Prusse. (1)
Les comtes d'Isenburg,
dans la Wetterau, accordèrent la même faveur. Auprès
d'autres gouvernements, la Russie, la Hollande, le Danemark et Coburg-Gotha,
les Frères firent des démarches tendant à un but
analogue.
A son retour d'Amérique
(1743), fort mécontent de la conduite de ceux auxquels il avait
laissé la direction des affaires, Zinzendorf essaya d'annuler
les résultats obtenus et de faire valoir son plan à lui.
Mais, outre les anciennes difficultés, il se heurta contre des
obstacles d'un nouveau genre. L'Eglise luthérienne elle-même,
à laquelle il avait voulu conserver l'élément morave,
protesta, en soutenant par la bouche de S. J. Baumgarten, à Halle,
que les Frères, ayant accepté l'épiscopat de l'Eglise
de l'Unité et possédant un culte organisé à
leur façon, s'étaient privés par là de leur
place dans l'Eglise luthérienne et étaient devenus une
Eglise nouvelle.
Cette fois, le comte fut
obligé de se rendre. Au Synode de Marienborn, en 1745, il admit
l'existence d'une Eglise morave à côté des Eglises
luthérienne et réformée, mais en réservant
formellement pour la première la faculté et le droit de
réunir, dans son sein, des représentants de toutes les
confessions évangéliques et de toutes les nuances du protestantisme
croyant. Il alla si loin, qu'il reconnaissait tout luthérien,
spirituellement vivant, comme membre de l'Eglise des Frères,
sans exiger de sa part une sortie de l'Eglise de ses pères. Il
suffisait, selon les vues du comte, de se prêter au travail de
l'union des cœurs en Christ, tel que Dieu l'avait confié aux
Frères, pour pouvoir dire: je suis des leurs.
Ces réserves faites,
Zinzendorf voua ses soins à l'organisation définitive
de l'Eglise des Frères. Il renouvela, en 1745, les grades ecclésiastiques
de l'ancienne Eglise de l'Unité, en dépouillant l'épiscopat
de toute prérogative autre que celle de la consécration
des ministres de la Parole. Il réussit, en outre, après
son retour à Herrnhut, en 1747, à obtenir la reconnaissance
de l'Eglise de la part du gouvernement de Saxe, tandis qu'en Angleterre
fut publié, en faveur des Frères, l'acte du Parlement
du 12 mai 1749, autorisant l'existence de l'Eglise morave sous le nom
de: Unitas.
Ce fut le jour où
cet acte fut passé, que Zinzendorf aimait à nommer l'anniversaire
du renouvellement de l'Eglise de l'Unité de Bohême et de
Moravie. Pour l'Angleterre, pour les Missions, il se réjouissait
sans arrière-pensée du résultat ainsi obtenu et
des garanties ainsi trouvées. Aussi se plaisait-il à appeler
la ville de Londres le centre de l'Unitas Fratrum, l'Eglise morave
épiscopale. Quant à l'Allemagne, en dépit de toutes
les concessions que la marche des événements l'avait contraint
de faire, il n'abandonna jamais, pour les Frères, l'idée
d'une Eglise dans l'Eglise, et d'une activité internationale
et en dehors de tous les cadres officiels.
Ce qui a survécu,
jusqu'à nos jours, de ces vues du comte de Zinzendorf, auxquelles
nul ne contestera une grande largeur et une belle profondeur de pensée,
a trouvé son expression dans l'oeuvre de la diaspora, telle que
l'Eglise des Frères la poursuit encore, au sein de toutes ses
Eglises sœurs. Rayonnant autour des centres moraves constitués,
un grand nombre de frères, au service de l'Eglise et envoyés
par elle, s'efforcent d'établir l'union des cœurs entre tous
ceux qui aiment Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Ce qui caractérise
cette oeuvre, c'est l'absence complète de tout esprit de propagande
ecclésiastique. Ce qui la distingue de n'importe quelle autre
oeuvre d'évangélisation, c'est que ceux qui l'accomplissent,
s'adressent non pas aux masses inconverties, mais à l'âme
du chrétien isolé et rempli de la soif de communion fraternelle
dans le Seigneur.
Aussi longtemps qu'au sein
des Eglises chrétiennes se trouveront des hommes et des femmes
aimant le Sauveur, mais manquant, à la place où Dieu les
a mis, des encouragements de la communion fraternelle et d'un appui
pour leur foi, l'oeuvre de la diaspora morave aura sa valeur et se poursuivra
sous la bénédiction du Seigneur.
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